Vous savez ce que c’est qu’un biais cognitif ? Et bah c’est un truc psychologique qui fait qu’on ne va pas considérer une information objectivement, préférant distordre la réalité en fonction de ses croyances, de son expérience, de son vécu ou de ses espérances. Et c’est probablement ce qui explique en grande partie pourquoi on n’arrive pas à être d’accord quand on examine un même fait : chacun en tire les enseignements qu’il veut. Et y’a plein de biais cognitifs différents.

Les biais mnésiques

On a regroupé tous les biais mnésiques en une seule catégorie parce qu’une certaine manière ils répondent tous à une même mécanique de souvenir tronqué. Parmi les biais mnésiques, il y a essentiellement l’effet de récence qui consiste à mieux se souvenir des dernières infos auxquelles on a été exposé et l’effet de simple exposition selon lequel on se montre plus ouvert et favorable à une situation ou une opinion que l’on connaît déjà. En gros si l’on prend par exemple la question de l’intervention militaire en Irak, on pourrait dire que l’opinion publique américaine a été convaincue pour deux raisons : la première parce qu’à force de répéter que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, les gens ont fini par associer Saddam Hussein aux dites armes ; la deuxième parce que Saddam Hussein constituait un ennemi des Américains déjà désigné par le passé par Bush père, ce qui évitait de s’interroger sur la menace réelle qu’il représentait pour les Américains.

Le biais de confirmation

Le biais de confirmation est un biais de jugement. Il consiste à se renseigner auprès de personnes qui partagent son opinion pour la valider. C’est l’effet bulle des réseaux sociaux : l’algorithme met en valeur des contenus similaires à ceux que vous aimez, ce qui vous enferme dans une bulle d’opinions homogènes et crée une mécanique de validation implicite. Dès lors, quand vous vous trouvez confrontés à des émetteurs d’opinions contraires à vos convictions, vous avez tendance à les rejeter d’emblée en discréditant implicitement cet émetteur.

Typiquement, c’est ce qu’il se passe entre les tenants d’une ligne complotiste et les médias traditionnels : les personnes qui croient au complot se confortent entre eux dans cette croyance et discréditent de fait les médias traditionnels qu’ils estiment partie prenante du grand complot ; d’où la vanité du fact checking qui ne s’adresse guère qu’aux personnes déjà convaincues.

L'effet Dunning-Kruger

C’est un double effet pervers ; selon l’effet Dunning-Kruger, les personnes non qualifiées dans un domaine ne disposent pas de suffisamment d’informations dans ce domaine pour évaluer leur niveau réel de qualification – elles auront donc tendance à surévaluer leur niveau de qualification et, de ce fait, leur capacité de jugement. A l’inverse, les personnes qualifiées dans un domaine estiment que leur niveau de qualification va de soi et qu’il est donc partagé par les autres.

Cette double mésestime du niveau de qualification rendra le dialogue impossible entre une partie et l’autre, la première parce qu’elle se jugera à même de statuer sur une question sans avoir le bagage pour, l’autre parce qu’elle se montrera incapable de comprendre que l’autre partie ne partage pas sa vision sur cette question faute de reconnaître l’écart de qualification entre les deux.

Un exemple : suite à un problème sur sa machine, une personne âgée appelle le service technique ; la personne âgée ne comprend rien à la machine mais se dit que ça ne doit pas être si compliqué. Le technicien, lui, ne sait pas comment discuter avec la personne âgée pour lui faire comprendre ce qu’elle doit faire. Dialogue de sourd : l’utilisateur jugera que le technicien est un bon à rien quand le technicien se dira qu’il est tombé sur une exception particulièrement pas débrouillarde.

L'effet Ikéa

Décrit par un prof d’Harvard en 2011, l’effet Ikea influence les consommateurs quand ils doivent évaluer la qualité d’un produit. Ceux-ci auront en effet tendance à valoriser un produit qu’ils ont partiellement créé (ou monté) au détriment d’autres produits entièrement manufacturés par d’autres. L’exemple canonique est celui de la maison que l’on met à vendre : une personne aura tendance à surévaluer le prix de sa maison s’il l’a entièrement décorée à son goût, jugeant de fait que sa maison vaut mieux que les autres maisons. Or, pour tout acheteur potentiel, ce surcoût ne correspondra à rien d’intéressant. Il y aura donc incompréhension entre l’acheteur et le vendeur.

Le biais rétrospectif

C’est le principe de la prédiction a posteriori. « Je vous l’avais dit. » « Je le savais depuis le début ». Une fois un événement acté, le déroulé logique des choses ayant abouti à cet événement, on reconstruit à l’envers ce déroulé pour affirmer que tout ça était prévisible et ainsi se donner l’illusion que l’on maîtrise l’incertitude et le hasard. L’exemple souvent avancé du biais rétrospectif est cette justification incantatoire et profondément débile des agressions sexuelles après qu’elles ont eu lieu : « vu comment elle était habillée, ça lui pendait au bout du nez ! »

Les coûts irrécupérables

Plutôt que de juger de la pertinence d’une décision, il s’agit là de juger de la pertinence d’une décision à l’aune de ce qu’on a déjà engagé dans le processus. Typiquement, si vous avez mis énormément d’argent dans le pot au poker et que finalement vous pensez que vous allez perdre la mise, vous aurez tendance quand même à payer pour voir au dernier tour alors que la logique économique aurait voulu que vous arrêtiez là pour ne pas perdre davantage (on donne des conseils pour gagner au poker si ça vous intéresse). Mais l’impression d’être allé trop loin pour reculer entre en ligne de compte. Les coûts irrécupérables créent des entêtements qui peuvent être très préjudiciables au niveau national.

L'effet Barnum

Cet effet consiste à se reconnaître, à se projeter, dans des situations et des exemples qui ne reprennent que partiellement des traits de personnalité et où chacun pourrait d’une certaine manière se reconnaître et se projeter. On ressent un effet Barnum d’identification à la lecture d’un roman ou à la vision d’un film dont on apprécie le personnage principal ; mais l’exemple le plus typique de cet effet, c’est l’horoscope. On croit se reconnaître dans une description vague parce qu’on a décidé que l’on s’y reconnaîtrait.

L'effet rebond

L’effet rebond consiste en une surreprésentation d’une pensée parce qu’on cherche à l’inhiber. Typiquement, si vous vous imposez de ne pas faire de remarque vestimentaire à une personne, vous aurez en tête tout au long de votre entrevue avec cette personne cette pensée à l’esprit – ne pas faire de remarque vestimentaire. Dès lors, vous tendrez par une surreprésentation de cette pensée interdite à mettre les pieds dans le plat et à survaloriser la question vestimentaire au détriment d’autres questions.

Le biais de disponibilité

Ce biais consiste, lorsque l’on recherche une information, à se cantonner aux premières informations disponibles. Par exemple, si l’on cherche à savoir le nombre de morts dans un conflit en cours, il y a fort à parier que les chiffres seront différents selon la source (pays oppresseur ou pays opprimé, par exemple). La disponibilité immédiate d’une de ces deux informations donnera à l’individu l’impression qu’il a obtenu ce qu’il voulait savoir sans pour autant qu’il ait réellement obtenu ce qu’il voulait savoir. D’où l’importance de la maîtrise des canaux d’information dans les pays autoritaires pour contrôler l’opinion.

Le biais d'optimisme

Presque tous les êtres humains se considèrent naturellement comme des élus : ils seraient moins exposés au risque que les autres. Ce biais d’optimisme, qui est présent chez tout le monde à des degrés divers, a un lien direct avec la prise de risques en dépit des campagnes d’avertissement. Le biais d’optimisme entre en ligne de compte dans de nombreux accidents de la route, mais aussi dans la propension des uns et des autres à sombrer dans l’alcoolo-tabagisme au nom d’une croyance fausse selon laquelle on se pense épargné par nature.

Bref on se plante tout le temps.