Double malheur : les gens qui s’appellent Thibault ont un premier malheur, celui de s’appeler Thibault ; et un deuxième malheur, celui d’avoir un prénom qu’on ne sait jamais écrire. Dès lors voilà notre cohorte de Thibault obligée de se subdiviser en sous-ensembles plus ou moins homogènes composés pêle-mêle de Tibo, de Tibault, de Thybaud et de Thibaud. Le genre de prénom sur lequel Shyamalan pourrait faire un film.

Pour que vous compreniez bien, j’ai illustré ce top avec des tibo tristes.

Thibault

Thibault est un type droit dans ses bottes – d’ailleurs, il a coutume de dire qu’il est droit dans ses bottes sans pourtant porter de bottes. Parce que Thibault préfère les chaussures en daim, qu’il arbore sous l’ourlet d’un jean clair repassé avec pli et chemise rentrée dans le pantalon de petit garçon sage. Lunettes et raie sur le côté : Thibault est un gentil gentil garçon. Tellement gentil garçon qu’il pourrait en devenir invisible. Il paraît que chaque année 72 Thibault sont oubliés sur les aires d’autoroutes par des parents distraits.

Thibaut

Classique et indémodable, comme on dit du Big Mac. Pourtant, il ne se sent pas légitime, Thibaut. Une seule lettre vous manque et tout est dépeuplé. Thibaut est né dans ce manque. Thibaud le lui a dit en se croyant poète : « Thibaut, ce vide en toi, c’est qu’L te manque. » Et depuis Thibaut cherche son aimée manquante. Romantique qu’on vous dit : il envoie des fleurs et des lettres parfumées, fait chauffer la carte bleue au Flunch et ne lésine pas sur les capotes goût fraise. Rien n’y fait. Malgré tous ses efforts, Thibaut se sent toujours seul au milieu de la foule. D’ailleurs, à la cantine, personne ne veut jamais déjeuner avec lui. Il faut dire aussi qu’il est passionné de Warhammer, ce qui rend sa conversation légèrement lénifiante.

Thibaud

L’original de la bande. Thibaud s’est rimbaudé le nom pour se donner des airs poètes. Sorte de jumeau maléfique du Thibault précité, le voilà qui se pare d’habits chiffonnés et joue les écrivains maudits dans des bouges interlopes. Il y boit des lampées de whisky frelaté dont il espère secrètement qu’il éveillera en lui la lumière créatrice. Mais de génie Thibaud n’a point. En revanche, une haleine dégueulasse et des problèmes avec la CAF qui a mal orthographié son nom, ça il a.

Thibauld

Papa voulait Thibald, maman voulait Thibault : on a tranché la poire en deux. Neutralité en héritage : Thibauld en a gardé un tempérament mou. Il n’a jamais passé le stade des balles enfant au tennis, roule avec des petites roues et se montre raisonnable en tout. Dans un cadre noir (ça va avec tout), il a affiché son bien le plus précieux. C’est une photo dédicacée de François Bayrou datant de 2012. Jusqu’au bout, Thibauld y a cru. A présent qu’il travaille pour le salaire médian comme cadre moyen à mi-temps dans le tertiaire, Thibauld hésite à se reconvertir comme panéliste professionnel.

Thiebault

Ah le voilà le prétentieux, l’impétrant, le gros plein de soupe qui se rêvait roi. Ah il ne fait rien comme tout le monde celui-là, toujours à ramener sa fraise, toujours à tirer la couverture à lui, à crâner le Thiebault parce qu’il a ça en lui, ce tout petit supplément d’âme et de particule, cette petite flamme qui l’incite à se croire un peu plus aristo. En cours de français, Thiebault levait la main pour réciter les poésies – dans le seul but de bien prononcer les diérèses. Quel con, ce Thiebault, même s’il faut reconnaître que les fêtes qu’il organise dans son hôtel particulier sont assez sympas.

Thibo

Alors là y’a eu cassure. Un élan qui s’est arrêté. On n’a plus su quoi faire. On y allait pour les racines grecques, tout s’est fini en eau de boudin, bras ballants, baissés, abandon. Thibo et vas-y que j’te pousse. Thibo a été baptisé comme on crache mal – au départ on se sent viril puis quand il s’agit d’expulser les glaires de la bouche on a honte. Très vite, Thibo a compris qu’il était un accident. Sa mère voulait continuer sa carrière, son père ne voulait pas de gosse, la capote a craqué et voilà. Un survivant, pas à sa place, une anomalie dans l’histoire : voilà comment Thibo se sent. Alors pour forcer le destin, il fait son baluchon, saute dans un cargos et va parcourir les océans. Stoppé au Havre pour cause de mal de mer, il termine l’épopée aux Vieilles Charrues où il est venu applaudir Bernard Lavilliers.

Thiebauld

Et dire qu’on a failli se faire avoir. Et dire qu’on a failli se faire berner par ce coquin de Thiebauld. Le voilà l’imposteur, le Rocancourt des prénoms qui voulait se donner des airs de Thiebault mais a flanché aux finitions. Et qu’il connaissait personnellement des stars de cinéma ; et qu’il avait ses entrées au festival de Cannes ; et qu’il pouvait nous rencarder sur un plan investissement avec une croissance à deux chiffres si on lui consentait notre confiance et des biftons. Avec ses habits Célio reconditionnés Hugo Boss, ses doigts soignés, sa manucure et puis son nom à particule il était tout près d’emporter le morceau. Mais c’était sans compter sur sa carte de visite. Parfaite la carte, grain épais et nom gravé. Ah oui mais alors non : Thiebauld, ce n’est pas une écriture normale, c’est une copie, une imitation. « Sortez ou j’appelle la garde ! » Il était moins une.

Tibo

Traumatisé par la Compagnie créole qui chantait ses ti bo, Doudou – son surnom – a la peau dure comme une pierre super dure (je m’y connais très mal en minéralogie). Et s’il se fait surnommer Doudou, c’est pour mieux tromper son monde. Quiconque a déjà frayé avec Tibo sait qu’on ne peut la lui faire à l’envers. Et ceux qui ont cherché à le doubler ne sont plus là pour témoigner du contraire. Avec Tibo, ça file droit ou ad patres. Son enfance ressemblait à un interrogatoire des forces pinochetistes : si tu ne coopères pas, tu seras obligé de subir des assauts biguine-zouk jusqu’à ce que tu craques. Ça forge le caractère, on apprend à s’adapter, à naviguer dans des eaux qui ne sont pas les siennes. Et parfois, on devient YouTubeur muscu pour cacher ses fêlures, car, le soir, quand on se glisse dans le lit, il n’est pas rare que l’on pleure à chaudes larmes en entendant au loin la rumeur d’une chanson…

Tibau

Savez-vous pourquoi on ne croise presque jamais de Tibau ? Parce que plutôt qu’un prénom, il s’agit d’une ville brésilienne située dans l’État du Rio Grande do Norte. Et comme on n’est pas non plus tous les jours fourré au Brésil, et bah ça explique qu’on croise finalement assez peu de Tibau. Quant aux rares énergumènes qui auraient le loisir d’être ainsi prénommés, on a envie de dire qu’il existe pour eux un eldorado situé sur des rivages lointains et qui ne demande qu’à les accueillir.

Crédits photo : popsugar

Raoul

MDR ça s’écrit pas comme ça.

Vous l’avez dans la tête ou pas ? Allez un ti bo, deux ti bo, trois ti bo Doudou !