Crise de la virilité ? C’est ce qu’on entend ici ou là dans la bouche des commentateurs qui trouvent que c’était quand même mieux avant quand les mecs faisaient la guerre, avaient des poils et l’assumaient. Mais en réalité, cet avant-là n’existe pas, ou du moins il n’est pas inamovible à travers l’Histoire. En 2000 ans, vous pensez bien que les attributs considérés comme virils ont sacrément évolué et que la figure du Musclor n’était pas la même en Grèce antique et aux Etats-Unis dans les années 60. Aujourd’hui, le seul critère de beauté important, c’est de se sentir bien dans son corps (et c’est une bonne nouvelle).

A Sparte, il fallait être courageux pour avoir la barbe

En Grèce antique, la barbe, c’était quelque chose : il fallait être viril et courageux pour la porter. De ce fait, à Sparte, le châtiment réservé aux lâches et aux déserteurs était de leur couper une portion de barbe. Parce que comme ça, tout le monde voyait que tu étais une femmelette. Et ouais ; de manière générale, être glabre était synonyme d’être efféminé en ce temps-là.

Par contre, la taille du pénis n'avait pas le même sens qu'aujourd'hui

Pour les Grecs, le micropénis était un symbole d’intelligence et de ruse. Les personnes dotées d’un trop gros engin étaient mal considérées, suspectées d’avoir un appétit sexuel insatiable voire d’être possédées par des êtres maléfiques. C’est d’ailleurs cohérent avec la figure de Priape, dieu condamné à l’érection permanente et qui ne pouvait même pas s’asseoir.

Crédits photo (CC BY-SA 3.0) : 3dnatureguy

Le bas Moyen-âge et les exploits virils

Pendant longtemps, la virilité a été associée dans l’imaginaire collectif à une domination de l’homme sur les autres hommes, plus encore que sur les femmes (lesquelles n’étaient même pas considérées). L’interdiction de la sodomie par l’église (et donc de l’acte de domination profonde qu’il impliquait) a légèrement changé la donne. Dès lors, pour prouver qu’on était le plus fort, il fallait faire la guerre, porter de lourdes armures et gagner des tournois dans des élans extrêmement violents. Jusqu’au XIV° siècle, la virilité était ainsi profondément attachée à la démonstration de violence, à la capacité de porter des charges lourdes et à faire preuve de cruauté sur les champs de bataille.

L'amour courtois et le goût des arts

Dès avant la Renaissance, l’amour courtois renverse cette représentation traditionnelle : il s’agit désormais pour les hommes de s’intéresser à la culture, de faire preuve de goût vestimentaire et de respecter davantage les femmes et les ennemis. Les armures laissent place à des pourpoints près du corps et on valorise la finesse du déplacement et le maniement de l’épée. La virilité se rapproche d’un idéal de beauté qui préfigure la Renaissance.

Cette tendance s'affirme totalement à partir du XVI°

Au XVI°, l’irruption d’une caste d’élégants symbolisée notamment par les mignons du roi Henri III (qui portent des boucles d’oreilles, des perruques et des grandes fraises) déclenche les moqueries du peuple. Les gentilhommes y répondent en multipliant les duels pour faire montre de leur habileté plutôt que de leur force physique. Et ce qui est marrant, c’est que cela déclenche déjà des critiques sur la perte supposée de la masculinité.

Les Lumières

Pour Voltaire, Rousseau et compagnie, avoir un gros fusil et un gros bâton, c’est complètement ridicule. De manière générale, penser la virilité comme une donnée à prouver qui peut rapporter quelque chose socialement n’a aucun sens. L’homme doit s’affirmer par sa pensée et son ancrage dans l’Histoire et certainement pas en allant faire du dueduel avec d’autres mecs bien membrés. C’est aussi en ce sens que les Lumières ont contribué à l’avènement de la révolution française, remettant en cause l’idée de pouvoir par l’oppression et donc celle de monarchie absolue.

Crédits photo (Domaine Public) : D’après Maurice-Quentin de La Tour

Au XVIII° siècle, porter la barbe en Russie était absolument interdit

Pierre le Grand, qui avait interdit le port de la barbe, s’est retrouvé face à une levée de boucliers telle qu’il a dû rétropédaler, se contentant d’instaurer un impôt sur la barbe en 1704. Tous les sujets russes qui souhaitaient conserver leur barbe devaient payer un impôt. On ignore si des gilets barbus ont occupé Saint-Petersbourg pour protester, mais en tous les cas il avait bien vu le coup, vu ce qu’il se passera deux siècles plus tard avec Raspoutine.

Le XIX° et le retour de la virilité exacerbée

L’émergence des clubs, de la politique et de l’industrie s’accompagne d’un retour en force des rapports de domination entre les hommes et les femmes : c’est le siècle du soldat et de l’ouvrier, tous deux devant entretenir leur corps pour maximiser leur performance. Combattre, entreprendre, mais aussi coloniser… Tout un imaginaire de conquête. Dans le même temps, la bedaine s’impose comme un attribut bourgeois, symbole de bonne santé et de prospérité.

Le dandy

En contrepoint de cette tendance, la fin du XIX° voit l’émergence du phénomène des dandys. Artistes ou jeunes hommes désargentés, ceux-ci baissent les bras face à la compétition permanente pour savoir qui a la plus grosse et y répondent par l’esprit, tout en cherchant à soigner leur apparence pour paraître impeccable malgré leurs difficultés. Séducteur, le dandy l’est par son détachement aux choses qui comptent pour les autres, plus communs. Cette figure influencera grandement les mouvements pacifiques au XX°. Une figure de virilité antibourgeoise décriée par les autorités publiques.

Crédits photo (Domaine Public) : Émile Deroy

Le XX° le grand écart de la virilité

Ce n’est qu’à compter des années 50 ou 60 que la virilité se réinvente. Les figures pop de Magnum et sa moustache et l’avènement du hippie comme figure dominante de la jeunesse, tout cheveux tout barbe, deviennent une norme, qui se perpétuera malgré une parenthèse androgyne dans les années 80 jusqu’au début du XXI° siècle.

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