On imagine James Bond ou le bureau des légendes quand on évoque l’espionnage. Mais la réalité est encore plus pragmatique : des gens, avec des moyens administratifs, qui font des trucs très importants mais sont parfois crevés, parfois mal lunés, parfois aveugles. Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec des catastrophes générées par des manquements à la procédure, parfois tragiques, parfois franchement drôles.

La CIA et le 11 septembre

Dès 1999, la NSA était au courant de la présence, sur le territoire américain, de membres d’Al-Qaida qui prenaient des cours de pilotage. Sauf qu’ils oublient d’en informer le FBI. De son côté, la CIA reçoit des informations sur le projet d’attaque terroriste quelques semaines avant qu’il ne se produise, mais les mémos ne sont pas lus par les responsables. Ces énormes manquements seront aussi à l’origine des nombreuses théories du complot qui fleuriront après les attentats.

L'affaire des Irlandais de Vincennes

En 1982, la France est touchée par une vague d’attentats, dont le plus marquant sera celui, antisémite, de la rue des Rosiers. Pour répondre à une opinion très critique, Mitterrand crée la cellule antiterroriste de l’Elysée, un service qui répond directement au Président de la République et qui fait appel à des corps de gendarmerie d’élite. C’est le commandant Prouteau qui est à sa tête. Le capitaine Barril, qui a pris sa place de manière intérimaire à la tête du GIGN, bénéficie alors d’un tuyau : plusieurs terroristes de l’Irish Liberation Army logeraient à Vincennes et seraient étroitement liés à l’attentat de la rue des Rosiers. Il prend la responsabilité de mener une opération pour les arrêter sous l’autorité de la cellule antiterroriste de l’Elysée. La perquisition permet de trouver quelques armes et des explosifs légers : mais elle est entachée de nombreuses irrégularités et, très rapidement, des informations fuitent, tandis que l’Elysée, lui, publie un communiqué qui se gargarise d’avoir fait une énorme prise dans les milieux du terrorisme.

Oups : en raison des erreurs commises par les services, les Irlandais sont rapidement relâchés et Barril est accusé d’avoir lui-même installé les pièces à conviction dans l’appartement où ils séjournaient, 0 Vincennes. Quant aux auteurs de l’attentat de la rue des Rosiers, on ignore encore aujourd’hui qui ils sont, même si des terroristes palestiniens ont fait l’objet, en 2015, d’un mandat d’arrêt international.

L'affaire Ben Barka

1965 : Mehdi Ben Barka, opposant historique au roi Hassan II et chef de fil tiers-mondiste, avait été condamné à mort par contumace au Maroc et vivait entre Le Caire et Genève. Alors que d’importantes manifestations se déroulaient dans les rues de Rabat, manifestations réprimées sévèrement par le général Oufkir, ministre de l’Intérieur, Hassan II envisageait sérieusement de gracier Ben Barka et de le nommer Premier ministre pour calmer la gronde populaire et calmer les ambitions d’Oufkir. Il prend discrètement contact avec Ben Barka. Mais Oufkir l’apprend et monte une opération contre lui. Il fait appel à des barbouzes marocaines qui s’allient à des barbouzes proches du SDECCE et à des anciens de la rue Lauriston pour fabriquer le scénario suivant : Ben Barka sera approché à Paris en vue de la réalisation d’un film sur la décolonisation, puis enlevé. Toute cette opération se déroule avec la collaboration d’agents américains, marocains et surtout français sans que la hiérarchie soit informée : en réalité, chaque partie pense que les hautes autorités ont donné leur aval, ce qui n’est pas le cas. Sauf que l’enlèvement tourne mal : pour commencer, il y a un témoin, ce qui rend impossible l’exfiltration discrète de Ben Barka au Maroc. Ensuite, l’interrogatoire de l’opposant tourne mal et le voilà qui meurt en présence du général Oufkir, dans une maison de la banlieue sud de Paris. Il faut alors se débarrasser du corps, mais l’affaire fait les gros titres et les services secrets sont directement pointés du doigt. De Gaulle est mis en ballottage lors de la présidentielle de 1965 et punit les responsables du SDECCE en les rattachant au ministère de la Défense. Un témoin essentiel des événements, membre des services secrets, est retrouvé « suicidé » dans son appartement alors qu’il s’apprête à faire des révélations. On n’a jamais retrouvé le corps de Ben Barka.

L'attentat de Lockerbie

Un appel anonyme a été passé quelques semaines auparavant auprès de l’ambassade américaine à Helsinki, se revendiquant d’une organisation terroriste, et prévenant qu’une bombe serait déposée sur un vol de la Pan Am reliant Francfort au Etats-Unis dans les 15 jours. Mais les autorités ont affirmé que les menaces étaient peu crédibles ; en réalité les Américains ont informé les compagnies aériennes, mais celles-ci n’ont pas voulu prendre le risque de perdre de l’argent sur une simple menace en prévenant le public. Concrètement, aucun contrôle renforcé n’a été déployé sur la ligne et l’attentat a bien eu lieu.

Les plombiers du Canard enchaîné

En décembre 1973, le Canard enchaîné déménage. Un soir qu’il passe par hasard devant les fenêtres des futurs bureaux, un des collaborateurs du journal est étonné de voir de la lumière à l’intérieur. Il monte, sonne, et pose des questions : les personnes sur place assurent qu’ils interviennent au nom du bailleur en qualité de plombiers. Sauf que les travaux sont officiellement terminés depuis une semaine. Le collaborateur tique, appelle son patron et la police. Les plombiers sont partis. Après inspection, les nouveaux bureaux sont truffés de micros.

Très rapidement, le Canard révèle l’affaire en la surnommant la Watergaffe. Les plombiers en question s’avèrent en réalité des agents de la DST venus pour installer des micros afin de surveiller les journalistes du canard et déterminer quelles sont leurs sources au plus haut niveau de l’Etat. Le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, serait le commanditaire direct de l’affaire. Seul hic, la justice, sous pression, rendra une ordonnance de non lieu suite au dépôt de plainte du Canard.

L'agent du renseignement qui écrit à un islamiste fiché S

En octobre 2017, un agent du renseignement français a foutu en l’air une enquête entière par une bourde des plus simples : alors qu’il voulait écrire un SMS à un collègue à propos de l’un des islamistes fichés dont il se chargeait du suivi, il s’est planté et a directement écrit au terroriste. Qui s’est empressé de le rappeler pour se foutre de lui, avant de prévenir l’ensemble de ses contacts qu’ils étaient surveillés. Ou comment ruiner des mois et des mois de travail par une simple erreur d’inattention.

Les agents du renseignement britannique, rois des bourdes

En 2009, Bob Quick, qui n’a aucun lien avec les fast food belges mais dirige le contre-terrorisme outre-Manche a laissé photographier un document confidentiel listant des personnes surveillées sur soupçon de lien avec une organisation terroriste. Cette même année, la vie intime du MI-6 est dévoilée au grand jour par un journal qui s’est contenté de se connecter au profil Facebook non sécurisé de sa femme. Dans le même temps, une agente du même MI6 paumait une clé USB dans un bus en Colombie. Une clé qui contenait tous les noms des informateurs des services anglais en Colombie.

James Bond est loin.

Les agents de la DGSE localisés à cause d'une appli de running

Encore un drame de la technologie : en début d’année, le Canard enchaîné a révélé que l’emplacement de plusieurs bases militaires secrètes en Irak, au Niger ou en Syrie avaient été révélés parce que les agents de la DGSE qui y sont dépêchés utilisaient une appli de suivi des performances sportives dont les données de géolocalisation sont publiques. On pouvait donc facilement retrouver l’emplacement des bases en cherchant tout simplement les utilisateurs dans des régions où il était probable que des agents français soient à l’oeuvre. Du grand n’importe quoi, d’autant que l’appli permettait aussi d’obtenir un certain nombre d’informations sur l’identité des agents.

Quand le Mossad menace le traité de paix entre la Jordanie et Israël

Chef du Hamas en Jordanie, Khaled Méchal est victime, en 1997, d’une tentative d’assassinat sophistiquée perpétrée par deux hommes qui se font passer pour des touristes canadiens et qui sont mis hors d’état de nuire par le garde du corps de Méchal. Sauf qu’en fait de touristes canadiens, un faisceau de preuves indiquent qu’il s’agit d’agents du Mossad qui, non contents d’avoir foiré une action mal préparée, n’étaient pas habilités à fomenter cette tentative d’assassinat. D’autant qu’à l’époque, la Jordanie était le seul allié d’Israël dans la région. Pour rattraper le coup, Israël a dû procéder à un échange de prisonniers.

Vitaly Yurchenko

Haut dignitaire du KGB, Yurchenko fait défection en 1985 lors d’un passage à Rome au profit du camp américain. Il livre le nom de deux espions infiltrés au sein des services américains, puis, quatre mois plus tard, retourne en URSS. Il affirme avoir été capturé par la CIA, torturé et drogué. On annonce qu’il a été fusillé, mais en réalité il est décoré et reprend son taf. Vous voyez un peu le problème ?

Ou comment la CIA s’est fait avoir par le KGB en vue de la rencontre entre Reagan et Gorbatchev pour renverser le rapport de force entre les deux blocs et ternir l’image des Etats-Unis alors que Reagan insistait sur les exactions pratiquées par les Russes dans ses déclarations publiques.

Secret ne veut pas toujours dire intelligent.

Sources : RTL, L’Orient le jour, SFR, Slate, Rendez-vous avec X