Et on parle. On parle tout le temps, pour exprimer parfois des pensées métaphysiques complexes sur des sujets touchant à l’infini ou à l’infravisible, on parle pour témoigner de ses sentiments, de son amour, de son dégoût, de ses envies, de son excitation. On parle de tout, tout le temps. Et parfois pour ne rien dire du tout. C’est le principe de « la phrase à dédé », pas tout à fait une expression, pas tout à fait une tautologie, plutôt un truc qui, exprimé ou non, ne change rien de rien de rien de rien de rien de rien du tout.

Ca se rafraîchit

Oui. Ou non, d’ailleurs. Il n’y aura pas de débat. Clothilde et Jean-Triste préféreront en rester à ce stade du constat plutôt que d’entamer une réflexion contradictoire quant à l’évolution de la météo, évolution généralement décrite en termes plus précis dans le bulletin de Joël Collado.

Ça passe toujours trop vite, les week-end

C’est bien vrai. Ca a même une certaine logique, dans la mesure où l’on passe 5/7 de sa semaine et donc de sa vie à s’emmerder au bureau pour obtenir deux maigres jours de repos, lesquels se décomposent comme suit : un premier jour à profiter, un deuxième jour à penser au fait que c’est bientôt fini. Heureusement, il y’a les vacances, hein.

Tu sais les nouvel an, on est toujours déçus

Clothilde avait pourtant averti Jean-Triste : à trop se faire de plans sur la comète, on se brûle les ailes. Jean-Triste avait entendu la remarque sans la relever ; lui aussi le savait, que les nouvel an étaient toujours décevants. Pour autant, ils allèrent ensemble à la fête de Bernard et participèrent au moment du décompte.

N'empêche, le punch c'est traître

C’est d’ailleurs à cette soirée que Jean-Triste se fendit d’une remarque assez pertinente auprès de Clothilde. Et c’est vrai que les fruits qui baignent dans le punch lui donnent une tonalité sucrée à même de faire oublier à celui qui en boit que le breuvage contient une quantité astronomique d’alcool. On boit sans soif et on est ivre. Il va sans dire que Clothilde qui avait déjà fait l’expérience du punch, connaissait le problème : elle ne releva pas et resservit deux verres. On trinqua aux bonnes résolutions qu’on ne tiendrait pas, hein ? (Clothilde aussi savait y faire en matière de clichés).

Tu devrais y aller, une fois qu'on est dedans, elle est bonne

Plus tard, rapprochés par la vie ou par leur solitude respective, Clothilde et Jean-Triste devaient se retrouver face à l’étendue d’eau qu’on appelle l’océan. Mi-saison : avril, ne te découvre pas d’un fil. Pour Clothilde, pourtant, la présence de la mer sonnait comme une invitation : la mer, on s’y baigne, point barre. Jean-Triste se montrait plus réservé. Allongé, mal de dos en prime, sur la plage de galets, il laissa Clothilde courir vers le rivage. Pourtant, celle-ci ne voulait pas en démordre : une fois dedans, l’eau était bonne. Ca faisait une belle jambe ankylosée à Jean-Triste, cette histoire.

Mange, c'est meilleur quand c'est chaud

Il est vrai que la cuisson des aliments, au-delà de son caractère pratique, à même de dézinguer les éventuels microbes et d’ainsi prévenir nos petits organismes fragiles des maladies auxquelles il pourrait être exposé par l’ingestion de nourriture, il est vrai donc que la cuisson des aliments vise aussi à en améliorer le goût ; une purée froide rend malheureux, on le sait bien. Ce jour-là, pourtant, Clothilde, qui avait reçu son plat avant Jean-Triste, la faute à une cuisine de restaurant prise d’assaut, ne put s’empêcher d’en faire la remarque à Jean-Triste. A attendre par politesse, il verrait son plaisir diminué. Jean-Triste attendit tout de même.

Ca fait vraiment du bien une bonne douche

C’était un jour de randonnée. Il avait plu, on avait sué, le retour au bercail sonnait comme une récompense âprement méritée. On enleva ses chaussures, on enleva ses chaussettes ; « preums à la douche » avait hurlé Clothilde. Et tandis que Jean-Triste se prélassait dans un fauteuil en attendant son tour, il vit Clothilde, cheveux mouillées dans les vapeurs qui s’échappaient de la salle de bain, revenir tout sourire : « Ca fait vraiment du bien, une bonne douche ! » Jean-Triste, qui le savait, y passa après qu’elle eut fini.

Tu sais, la chance, ça tourne

Les mauvaises nouvelles arrivent et, avec elles, tout un lot de contrariétés. Tenez, prenez Clothilde : elle attendait beaucoup d’un entretien d’embauche dans une boîte d’assurances. Non qu’elle fut passionnée par les assurances, attention ; mais enfin plus de responsabilités, un salaire avantageux, des RTT, 6 semaines de vacances. Ca compte, tout ça. Las ! Coiffée au poteau par un pistonné de première, le boulot devait lui passer sous le nez. Pas avare de consolations, Jean-Triste lui passa une main dans le dos en lui murmurant des mots doux sur le grand cycle de la vie et des choses. Il n’avait pas de preuve pour étayer ses dires, et Clothilde s’en foutait un peu de ces histoires de chance.

Il y a tellement de séries aujourd'hui c'est fou, on peut pas toutes les regarder

Leur vie sexuelle battant de l’aile, Jean-Triste et Clothilde s’étaient mis à regarder des séries pour passer le temps. Dans un monde où une nouvelle série était chaque jour publiée, ils se sentirent dépassés. Lors d’un dîner chez des amis qui leur conseillaient ardemment le visionnage d’un quelconque programme incluant du sexe, des serial killer, une ambiance de thriller psychologique et un grand réalisateur, Jean-Triste ressentit une lassitude : il y avait tellement de séries, comment toutes les voir ? On se resservit de punch sans rebondir sur la remarque.

La pluie, c'est déprimant

Depuis que Clothilde est partie, Jean-Triste déprime. Dans l’appartement où il vit désormais seul, il repense au passé. Dehors, une pluie s’abat : c’est Paris après tout. Jean-Triste a le nez à la fenêtre. Il ne fera rien de la journée. Tout haut, il s’exclame : « la pluie, c’est déprimant ! »

Clothilde ne lui répond plus.

Ca passe vite, un top.