Droite / gauche. On dira ce qu’on voudra, le clivage continue d’être suffisamment déterminant pour qu’à peu près tout le monde se revendique d’un camp sans pour autant l’adouber politiquement. Droite / gauche, dichotomie pratique qui permet d’identifier tout un corps d’habitudes de vie, d’opinions générales, de rapport à la vie émanant d’une personne, sans tomber forcément dans la caricature. Il y a donc des couples de gauche et des couples de droite, et puis aussi des couples mixtes, mais c’est relativement rare. Et ils n’ont pas la même vie de couple.

Se rencontrer

A droite : C’est chez Christian que vous vous êtes parlé la première fois, à table, autour d’un rôti de veau en croûte de sel qui est resté dans les mémoires. La discussion zigzaguait sur les projets entrepreneuriaux des uns et des autres et son idée de box pour hommes livrée par des types en vélo t’avait vachement plu. Y’avait de la vision derrière ce col relevé. Vous vous êtes rapprochés peu à peu et jusqu’à vous en enivrer et êtes rentrés ensemble en taxi.

A gauche : Vous vous êtes rencontrés dans un rade glauque en traînant au comptoir entre deux parties de 4-21. Tout de suite, ses positions sur la crise écologique et son engagement dans un centre d’aide aux migrants a éveillé en toi un sentiment spécial. Bière pas bonne, re-bière pas bonne, re-re-bière pas bonne, un peu ivres vous avez pris un velib’ au mépris de la loi et de votre propre sécurité (carpe diem, merde !) pour rentrer ensemble.

Faire l'amour la première fois

A droite : On éteindra la lumière pour ne pas tout dévoiler tout de suite ; lent déboutonnage de la chemise Ralph Lauren à col relevé, complications pour enlever le tailleur, lingeries fines et boxer moulant. Son rouge à lèvres met des traces partout, mais tu te mets en marche et pour la république lui fais ton affaire. T’as mis une capote pour ne pas choper de maladies. Virulence et puissance physique d’une part, abandon de l’autre. Tout le monde est content de ce diptyque missionaire-levrette. Petite douche et puis au lit.

A gauche : On se déshabille rapido : pas de quoi sacraliser non plus le sexe en tant que tel, c’est bon, c’est juste du sexe. Embrassades timides quoique rigolardes, puis on passe aux choses sérieuses. Personne ne prendra le lead, puisque les genres sont à égalité. Maintenant qu’on est nu, autant s’y mettre. On mettra une capote pour ne pas refiler d’éventuelles maladies, cunnilingus et fellation puisqu’aimer, c’est donner. Puis on fera l’amour tantôt l’un au-dessus, tantôt l’autre, pour finir en cuiller parce qu’après tout c’est encore une position d’égalité. On s’endort sans se laver les dents.

(Si vous voulez tout le détail, il est là).

Décider qu'on est ensemble

A droite : Il faut officialiser, maintenant. Mettre des mots sur des choses, parce que quand c’est flou, il y a un loup. On ne peut pas raisonnablement continuer à se voir dans la clandestinité : l’histoire a démontré que la clandestinité, c’était le bordel. On se retrouvera donc autour d’un café dans quelque bar du IX° pour mettre les choses au clair, et on se donnera la main en signe de confiance mutuelle.

A gauche : Bon, si on réfléchit calmement deux secondes, est-ce que voir quelqu’un trois fois par semaine pendant 2 mois et la présenter à des amis, c’est sortir avec ? Pas sûr. Et puis on ne sait pas ce que l’autre veut, la liberté, c’est important, il ne faudrait pas se retrouver dans une position où l’on oppresse l’autre en lui imposant un couple dont il ne veut pas. Complexité. De toute façon, là, vous allez au ciné, mais vous en parlerez un jour ou l’autre.

Vous n’en parlerez jamais : de fait, vous êtes ensemble.

Les activités du week-end

A droite : On se lèvera pas trop tard pour profiter de la journée et aller déjeuner dehors. Ensuite, un peu de shopping dans le Marais, puis un petit tour à la Fondation Vuitton pour profiter d’une expo pour laquelle on a des coupe-files. Le soir, on racontera tout ça à l’anniversaire d’Alexandre, dans un bar d’after work privatisé. Alexandre sera content du super casque de scooter design qu’on lui a acheté.

A gauche : On a fait la grasse-mat’ parce que c’est ça aussi la vie. Traînage au lit, baise matinale. Réussira-t-on un jour à sortir de ce lit ? Oui, hop : France Inter (tellement mieux le weekend), et on ira bruncher à 16 heures un truc en pestant contre le fait que c’est trop cher. Puis une promenade dans une expo gratuite où l’on verra des croûtes contemporaines, et à nouveau une bière, puis un ciné. Le soir, on verra bien qui est dispo pour faire la tournée des bars.

Traîner

A droite : Traîner est un truc de fainéant. Mais enfin, il faut bien de temps en temps lever le pied. On en profitera pour faire des comptes et anticiper les impôts qui nous violent, on en profitera pour rattraper la lecture de tous les Point qui s’accumulent, on en profitera pour faire un peu de repassage, pour se renseigner sur les femmes de ménage parce qu’on n’a pas le temps de faire le ménage. Chacun à sa tâche, chacun à son poste. Il n’y a pas de temps inutile.

A gauche : Traîner est le propre de l’homme. On pourrait passer des heures à réfléchir à ce que l’on pourrait faire. Trois pages d’un livre, un peu de sexe, un peu de piano, un peu de café, regarder des séries en binge-watching et s’endormir devant. La vie n’ayant pas de sens, il n’est pas question de perdre ou de gagner du temps. Il est question de la vivre et de ne pas trop se fouler. A un moment ou un autre, il faudra bien sortir acheter des cigarettes ou à dîner (on enfilera des chaussures sans chaussettes sur son pyjama, comme pour bien se prémunir contre la tentation de rester trop longtemps dehors).

Partir en vacances

A droite : Le rêve d’une vie, ce road-trip aux Etats-Unis, cette découverte de Hong Kong et Shangaï, le rêve d’une vie. Par contre, pas question de se faire chier : on prend un Tour Operator et le circuit est balisé. Meilleurs hôtels, meilleurs restos : le fric, c’est fait pour ça. Selfies au Grand Canyon ou bien en Malaisie, le voyage se passe bien puisqu’il n’est pas utile de réfléchir à son organisation. On passera son temps à s’émerveiller de la qualité des infrastructures touristiques, et le soir, on baisera dans des lits king size. Plein de trucs à raconter, en plus des petits items typiques achetés dans les boutiques touristiques.

A gauche : Ce road trip en Amérique du Sud, le rêve d’une vie. Mais par contre, pas question de se presser ou de dépenser des mille et des cent. L’économie de la débrouille : vol à trois escales qui atterrit en Colombie, on verra bien le temps qu’il nous faudra pour rejoindre l’Argentine. Stop, auberges de jeunesse, car, beaucoup de car, itinéraire bis pour le Machu Picchu, hébergement parfois chez l’habitant. Les cafards dans la chambre créent bien quelques tensions, mais on sait qu’elles se dissiperont aussitôt devant la magnificence des paysages. On ne gardera que les bons souvenirs.

La baise régulière

A droite : Papier à musique. Il n’y a pas d’heure fixe, mais papier à musique tout de même : si on ne baise pas pendant 1 semaine, le sujet est mis sur la table. La baise n’est pas performative, mais c’est tout de même le baromètre de la bonne santé du couple ; si ça déconne, il y a danger. La baise n’est pas performative, mais quand même un peu. Démonstrations de force et chasse à la simulation. De la vigueur, de la vigueur. On entretient sa vie sexuelle à grands renforts de petits jeux et de lingerie fine.

A gauche : Le grand chaos. Un mois de sexe non stop, un mois quasi sans sexe, la libido est reine et on ne fera pas d’effort. On ne fera pas d’effort quand on n’a pas envie, parce qu’on ne veut pas se faire spolier par l’autre. C’est la loi. Pas besoin d’artifices, on s’aime pour ce qu’on est, pas pour les rôles que l’on pourrait se donner dans un contexte sexuel. Lumières tamisées et autres bas-résille sont les reliquats de l’ancien monde.

Habiter ensemble

A droite : C’aura été long, mais on l’aura trouvé, ce petit nid d’amour enfin à la bonne taille. Bel immeuble haussmanien, les déménageurs ont tout amené et la banque a dit oui pour le prêt. On sera chez nous. Trucs stylés aux murs mais pas trop parce qu’épuré, c’est chic. A chacun ses espaces. Ensuite, la vie s’organise pas trop mal. Pas de ménage à faire puisqu’on claque du chèque emploi-service à tire-larigot et une vie où chacun travaille tard et se voit peu. Le soir, au lit, un peu de lecture des actualités économiques ou bien un film grand public devant lequel on s’endort tranquillement.

A gauche : C’aura été long, mais on l’aura trouvé ce deux-pièces trop cher dans lequel on essaiera de jouer au couple adulte. Déménagement de l’enfer avec toutes les vieilleries chinées chez Emmaüs ou dans les brocantes. On fait comme on peut avec l’espace réduit, essayant de ménager à chacun un peu d’air. A la sortie des bureaux, vers 5 heures, on ne rentre jamais directement chez soi. Les engueulades domestiques commencent un peu : et la vaisselle ? Et la poussière ? Ménage dominical à deux, musique à fond, avant d’aller déjeuner. C’est ça aussi, la vie.

Faire les courses

A droite : « T’as commandé sur Hourra ? Pourquoi on n’a pas été livrés ? »

A gauche : « T’es passé à l’Amap ? Putain t’avais dit que tu passerais à l’Amap cette semaine. »

Voire d'autres couples

A droite : Petits dîners, verrines, et bientôt la tournée des mariages. Les filles parlent entre elles et les hommes entre eux. Les filles parlent de trucs de filles et les hommes de trucs d’hommes. Chacun s’amuse dans ces circonstances à coller à l’idée qu’il se faisait petit des répartitions genrées. On vit dans un film, c’est très réconfortant. Cigare après repas, les femmes ne boivent pas trop « tu as de la tisane ? » On s’ennuie un peu, mais on est heureux de s’ennuyer ensemble.

A gauche : Couples, pas couples, ce qu’on s’en fout. De toute façon, on ne veut pas vieillir donc on ne vieillira pas ! Soirées dans des bars jusqu’à des heures interminables, amitiés mixtes et personnes dissociées. Tellement dissociées qu’elles ne se voient plus tellement ensemble, les amis qui gravitent gravitant parfois un peu trop près. L’anti-fusionnel. Quand il y a un dîner, c’est une nouvelle occasion pour se biturer en critiquant le monde avec désinvolture. On est content de soi. En partant du dîner, il y a toujours ce léger flottement, comme lorsqu’on quitte la scène. Presque un léger malaise.

On parlera plus tard des couples du centre.