L’Histoire est ponctuée d’exploits, et de moments beaucoup moins cool il faut l’avouer, mais c’est pas spécialement de cela qu’on va parler aujourd’hui puisqu’on va se pencher sur l’une des expéditions les plus mouvementées de l’histoire, celle du navire britannique L’Endurance qui devait traverser l’Antarctique en 1914 et qui ne s’est pas passée complètement comme c’était prévu. Et quand je dis « pas complètement » c’est plutôt « pas du tout » qu’il faut lire.

L'Imperial Trans-Antarctic Expedition, quatrième expédition britannique pour traverser l'Antarctique

Tout d’abord il est probablement utile de rappeler qu’en 1914, l’année de départ de l’Endurance, il s’agit de la quatrième expédition du pays à partir pour traverser l’Antarctique (mais la première a prendre son départ directement du Royaume-Uni). L’idée était d’atteindre le pôle sud, ce que trois expéditions avaient tenté auparavant dont l’expédition Discovery et l’expédition Nimrod. Entre la tentative du Nimrod et le départ de l’Endurance, une expédition norvégienne est parvenue à atteindre le pôle sud, faisant de son capitaine Roald Amundsen le premier à réussir l’exploit.

Crédits photo (Domaine Public) : Frank Hurley

Ernest Shackleton, l'homme de la situation

Je ne vous parle pas des deux expéditions Discovery et Nimrod pour rien, celles-ci avaient un point commun : Ernest Shackleton. Cet homme était à bord de la première en simple marin, mais il était chef sur le Nimrod, une expédition qui a failli réussir puisque Shackleton a fait demi-tour à peine à 180 kilomètres du pôle sud parce qu’il n’y avait plus assez à manger sur le navire pour faire le chemin du retour. Il aurait pu être le premier à faire la traversée, mais Amundsen y est parvenu entre le voyage du Nimrod et le prochain de Shackleton, l’Endurance. Et oui, sans surprise, les Britanniques ont choisi Shackleton comme chef pour diriger l’expédition Endurance, vu qu’il était clairement le candidat le plus à même de la mener à bien.

Crédits photo (Domaine Public) : Author Ernest Henry Shackleton

Une expédition avec plusieurs objectifs

L’itinéraire prévu par Shackleton était de traverser l’Antarctique en passant par le sud de la mer de Weddell (dans l’océan Atlantique) puis au sud de la mer de Ross (dans l’océan Pacifique). Dans la mer de Ross il pourrait construire une base servant de centre d’approvisionnement pour ravitailler l’Endurance. Au delà du fait de découvrir une nouvelle route maritime, l’idée était de découvrir et d’étudier la faune, la flore et les spécificités géologiques des différents endroits traversés, tout en cartographiant les fonds marins sur le chemin, plusieurs objectifs importants pour une expédition quand même très risquée, pour la simple et bonne raison que dans l’une des premières étapes (dans la mer de Weddell) on pouvait facilement se retrouver piégé par la glace. Et là logiquement vous commencez à voir venir le truc.

Crédits photo (Domaine Public) : Frank Hurley

Une petite annonce pas mensongère

Avant de lancer l’expédition, Shackleton avait besoin d’hommes pour occuper les deux navires, l’Endurance (qui devait passer du côté de Weddell) et l’Aurora (qui devait passer du côté de Ross). Des donateurs privés et le gouvernement britannique ont financé l’expédition, et Shackleton a publié dans un journal l’offre d’emploi suivante : « Recherche hommes pour voyage périlleux. Petits gages. Froid rigoureux. Longs mois de totale obscurité. Dangers permanents. Retour incertain. Honneur et reconnaissance en cas de succès ». On peut dire ce qu’on veut, au moins c’était honnête. Près de 5000 réponses plus tard, le capitaine a sélectionné ses cinquante-six membres de l’équipage, soit un choix plus large qu’on en trouve sur Tinder.

Crédits photo (Domaine Public) : Frank Hurley

Le départ et le début des emmerdes

C’est le 9 août 1914 que l’Endurance quitte le port de Plymouth et traverse l’océan en faisant escale en Argentine. Début décembre il atteint enfin l’Antarctique et manque de se retrouver bloqué dans la glace, puis continue jusque mi janvier 1915 en avançant à une allure inconstante, la glace permet parfois de naviguer tranquillement ou ralentit considérablement le bateau le temps d’une journée. C’est le 19 janvier très exactement que la glace se referme sur l’Endurance, et même si l’équipage s’affaire à l’en libérer et parvient parfois à dégager la coque, le navire reste immobile. Sur le moment les membres de l’Endurance ne sont pas forcément conscients qu’ils vont rester bloqués longtemps : il arrive souvent que le bateau se bloque puis que la glace fonde en le libérant quelques jours plus tard, ce qui ne sera pas le cas ici.

Crédits photo (Domaine Public) : Frank Hurley

La dérive avant la longue nuit

La glace dans laquelle est piégé l’Endurance commence à dériver doucement, déplaçant le navire vers le nord pendant le mois suivant jusqu’au mois de mai. Durant ce temps, l’équipage vit sur les réserves. L’hiver commence et la disparition totale du jour avec lui, ce qui va considérablement rendre les mois suivants difficiles. À ce stade, Shackleton sait que la seule chance de l’Endurance est de tenir jusqu’à l’été suivant pour que la fonte des glaces libère le navire, mais plus les mois passent plus l’espoir s’en va. C’est finalement à la fin du mois d’octobre 1915 que la glace explose le pont du bateau à cause de la pression et que l’eau commence à inonder le bâtiment. Les marins se réveillent à cause du bruit qu’ils décriront comme semblable à des tirs de boulets de canon et commencent à sauver ce qu’ils peuvent du navire.

Crédits photo (Domaine Public) : Royal Geographical Society

Des conditions extrêmes pour un équipage perdu

Fin octobre, le navire est définitivement abandonné et l’équipage se retrouve avec un stock de vivres réduit, une bonne partie ayant coulé avec l’Endurance. Ils ont avec eux trois canots de sauvetage, quelques chiens de traineaux et des vêtements à peine suffisants pour affronter les -25° de la banquise. L’idée est d’essayer d’atteindre l’île de Paulet située à 450km de leur position où ils pourront trouver refuge, le voyage semble alors faisable avec les traineaux et les vivres restants, mais c’était sans compter sur les congères et le terrain de glace qui n’aide pas à garder une allure stable en traineau ou a pieds.

Crédits photo (Domaine Public) : Auteur inconnuUnknown author

Voyage au bout de l'enfer

La longue marche de plusieurs mois vers l’objectif se révèle rapidement impossible à cause du terrain, il faut à un certain moment plus d’une semaine à l’équipe pour traverser « à peine » 18 kilomètres. Pour ne pas utiliser tous les vivres, l’équipage chasse des phoques et des manchots. Ils récupèrent également la graisse des animaux pour chauffer les lampes et brûler des feux pour cuisiner, faire fondre de la glace pour boire et se réchauffer. La nourriture disparait rapidement vu que les conditions « obligent » l’équipage à manger des quantités supérieures aux estimations à cause de l’effort et du froid. Pour ne rien arranger, plus la marche continue moins la faune est présente, et bientôt l’équipage ne croise plus aucun phoque ou manchot. Ils décident alors de tuer les chiens.

Crédits photo (Domaine Public) : Probably Frank Hurley, the expedition's photographer

L'abandon total du Royaume-Uni et le sauvetage de la dernière chance

En avril 1916, le Royaume-Uni est conscient que l’Endurance a coulé et que son équipage est perdu sur la banquise, mais en pleine première guerre mondiale le pays ne manifeste aucune aide à l’équipage, y’a déjà pas mal de trucs à faire de leur côté. Shackleton est alors conscient d’une chose, l’équipage ne sera sauvé que par lui-même. Il réfléchit à rejoindre l’archipel du Shetland du Sud ou l’île de l’Espérance, mais leur distance le force à se rabattre sur une ile aride et désertique, l’île de l’éléphant.

La traversée pour rejoindre l’île est longue et complexe, faire du feu dans les canots s’avère compliqué, ce qui empêche de faire fondre la glace et assoiffe les marins qui sont paradoxalement tout le temps trempés. Plusieurs semaines éreintantes plus tard, l’équipage arrive sur l’île le 14 avril. À peine débarqué, Shackleton décide de laisser la plupart des marins sur l’île pour qu’ils se reposent, et il entreprend d’aller chercher de l’aide à 1500 kilomètres avec un canot et une équipe réduite.

Crédits photo (Domaine Public) : Frank Hurley

Six hommes et un canot de sept mètres : l'une des traversées les plus exceptionnelles de l'histoire

Avant de partir, Shackleton sélectionne le canot le plus robuste des trois qui leur reste, le James Caird, et il demande à l’ébéniste de l’équipage de le consolider en remontant les bords et en ajoutant un autre mât. Il est également lesté, huilé et préparé comme un véritable navire pouvant faire face aux conditions extrêmes de la traversée qui l’attend, entre vagues scélérates, blocs de glace et vents violents.

C’est le 24 avril que part le James Caird pendant que le reste des hommes installe un camp de fortune sur l’ile de l’éléphant. La traversée est un véritable exploit en matière de navigation et à plusieurs reprises l’équipage de six hommes se voit mourir : froid, accumulation de glace, vagues géantes qui menacent de renverser le bateau, navigation majoritairement de nuit et surtout un foutu ouragan lors des derniers jours de navigation. Deux semaines après leur départ, ils atteignent l’île de la Géorgie du sud au terme d’un voyage que certains historiens qualifieront de « l’un des plus grands voyages en bateau jamais accompli ».

Crédits photo (Domaine Public) : Probably George Marston, the expedition's artist

La rencontre des renforts

Une fois arrivés sur l’île, il faut trouver de l’aide, Shackleton prend deux hommes avec lui et laisse les trois plus exténués sur le bateau près du rivage. Ils marchent pendant 36 heures sans s’arrêter, sans avoir de route ni d’itinéraire et en passant par des glaciers qu’il faut escalader. Ils trouvent finalement de l’aide à Stromness aux alentours du 20 mai et le soir même on envoie un bateau récupérer les trois autres membres du James Caird. Sans repos et le visage marqué par les épreuves, Shackleton demande à ce qu’on envoie des renforts sur l’île de l’éléphant secourir le reste de l’équipage de l’Endurance.

Crédits photo (Domaine Public) : Probably expedition artist George Marston (1882-1940)

Le sauvetage des naufragés de l'île de l'éléphant

Pendant le voyage du James Caird, les reste de l’équipage survit sur l’île inhospitalière. Le vent est tellement violent (de 112 à 145 km/h) qu’il déchire complètement les toiles des tentes, et très vite l’équipage fabrique un gros abri en érigeant des murs en pierre sur lesquels ils posent les deux canots restants pour faire un toit. Ils consolident les côtés avec de la glace et chassent comme ils peuvent des phoques pour se nourrir. Trois jours après son arrivée à Stromness, Shackleton entreprend un premier sauvetage qui échouera, il faudra d’ailleurs deux autres tentatives avant d’arriver enfin à atteindre l’île de l’éléphant. C’est près de quatre mois après avoir quitté l’île qu’il parvient grâce au navire de Luis Pardo, au quatrième essai, à sauver les 22 survivants restés sur l’île de l’éléphant.

La traversée devait durer quelques mois, elle aura duré deux ans et demi mais aucun membre de l’Endurance n’aura perdu la vie.

Crédits photo (Domaine Public) : Frank Hurley

Et sinon vous pouvez aller voir les explorateurs disparus mystérieusement, ceux qui ont eu moins de chance.

Sources : Wikipédia (1, 2), Voyage, Live Science.