Au fil des âges, nos congénères ont établi des tas de préjugés et autres idées préconçues, pour la plupart faux, stigmatisants, racistes, sexistes ou encore complètement chelous. C’est important de lutter contre ces gros clichés malveillants, mais la meilleure manière de le faire est encore de les déconstruire et de comprendre comment ils sont apparus dans notre Histoire. Parce que crier « C’EST FAUX », c’est bien sympa, mais expliquer d’où vient l’erreur, ben c’est encore mieux. Tout ça, c’est justement l’objet du dernier livre des historiens Jeanne Guérout et Xavier Mauduit, Histoire des préjugés, dont on a tiré beaucoup d’infos pour faire cette liste. Si le sujet vous intéresse, il y a encore plein d’autres préjugés à découvrir dans le bouquin.

"Les Anglais sont excentriques"

Entre la Guerre de cent Ans, l’exécution de Jeanne d’Arc ou la course à la colonisation au 16e siècle, les relations entre Français et Anglais ont longtemps été compliquées, pour ne pas dire carrément hostiles, mais c’est finalement lorsque les Anglais sont venus visiter le pays, en amis, au 19e siècle, que la plupart des préjugés à leur sujet sont nés. Au 19e siècle, donc, beaucoup d’Anglais de la haute venaient faire du tourisme chez nous, et ils faisaient tâche dans le paysage : ils avaient sur le dos des fringues qu’on ne connaissait pas, se déplaçaient avec de grandes malles compartimentées, des nécessaires de toilette immenses, et un langage étrange. Enfin, étrange aux oreilles des Français, qui trouvaient leurs voisins ridicules. Les artistes de l’époque ne se faisaient donc pas prier pour les caricaturer dans des bouquins et des peintures, et c’est ce qui a commencé à forger ce préjugé tenace : les Anglais sont bizarres. En fin de compte, ils étaient probablement aussi bizarres que nous à leurs yeux, mais eux, quand ils parlent de nous, préfèrent dire qu’on est arrogants. On l’a pas volée celle-là.

Crédits photo (Domaine Public) : Loyset Liédet

"Le vert porte malheur"

On en parlait des le top des explications sur les superstitions : porter du vert au théâtre porterait malheur. Mais la superstition s’étend au-delà du théâtre puisque au 19e siècle, la reine Victoria et le compositeur Franz Schubert avaient tous les deux une aversion pour cette couleur dont ils se tenaient le plus éloignés possible. On peut aussi parler de l’absence du vert dans le code international des signaux maritimes créé fin 17e siècle, car le vert faisait aussi peur aux marins, ou encore évoquer les yeux verts qui étaient mal vus au Moyen-Âge. Bref, c’est répandu, mais à tout ça, il y a plusieurs pistes d’explication :

Tout d’abord, au théâtre, le type d’éclairage utilisé au 19e siècle ne faisait pas assez ressortir le vert, ce qui laissait les costumes de cette couleur dans l’ombre. Pas idéal, pour du théâtre, vous en conviendrez.

Mais déjà avant, vers la fin du Moyen-Âge, on recensait quelques cas de comédiens morts après avoir joué le rôle de Judas, dont le costume était vert. C’était dû au mélange toxique à base d’oxydation de cuivre qui était utilisé pour faire les teintures vertes. Sauf qu’à l’époque, on comprenait pas trop pourquoi les gars mourraient, et on attribuait donc ça à la couleur verte plutôt qu’aux composants utilisés.

Enfin, dernière explication (mais il en existe encore d’autres), en Europe du Nord, on considérait que les fées s’habillaient en vert et qu’elles n’aimaient pas que les mortels s’habillent comme elles. Par crainte et par respect, on évitait donc de se fringuer dans cette couleur.

Voilà, ça vous donne une idée générale du pourquoi du comment beaucoup de gens ont peur du vert aujourd’hui alors qu’il s’agit pourtant d’une couleur comme les autres. Nous on t’aime, le vert.

Crédits photo (CC BY-SA 4.0) : Rideauvert

La main gauche est la "mauvaise main"

Il y a peu, dans le top des trucs qui auraient logiquement dû disparaître avec l’évolution, on vous expliquait pourquoi il y avait encore des gauchers dans ce monde fait pour les droitiers. Aujourd’hui, on vous explique pourquoi les gauchers sont considérés comme malchanceux, gauches et porteurs de malheur.

Cette aversion envers la main gauche remonterait déjà à l’Antiquité : en latin, la gauche porte le nom de sinister, qui est à la racine du mot sinisteritas, exprimant l’idée de « malheur » ou de « mauvais sort ». Ça commence mal.

En plus de ça, dans la Bible, il est bien précisé que c’est de la main gauche que Caïn tue Abel, faisant ainsi de la main gauche la main des ennemis du Seigneur. Zut.

Ces préjugés « originels » vont continuer à se répandre pendant des siècles et vont être renforcés quand l’alphabétisation va progresser à partir du 16e siècle, et que les maîtres vont interdire aux élèves d’utiliser leur main gauche pour former les lettres. Heureusement, ce cliché s’est largement atténué de nos jours, et on aurait même tendance à dire qu’être gaucher mène bien souvent à la réussite, voire au génie. Des génies qui ont besoin de ciseaux pour gauchers, mais des génies quand même.

Crédits photo (CC BY-SA 3.0) : Judith Bremer

"Les roux sont faux et sentent mauvais"

Vous avez forcément déjà entendu ce méchant cliché selon lequel les roux sentent mauvais, et peut-être même aussi celui selon lequel les roux sont hypocrites. Eh ben tout ça remonte à il y a bien longtemps. Déjà au 1er siècle avant notre ère, l’historien Diodore de Sicile racontait qu’on sacrifiait les hommes roux pour apaiser la colère de Typhon. Plus tard, à Rome et durant le Moyen-Âge, rufus (roux) était une insulte. Toujours au Moyen-Âge, on disait que croiser un roux portait malheur, et encore plus tard, dans les traités de physionomie, on n’hésitait pas à dire que les roux étaient hypocrites et cruels. En gros, depuis un paquet de temps, les roux sont (injustement) mal vus dans nos contrées.

Pour expliquer ça, il y a pas mal d’explications possibles. Déjà, tout simplement, il faut bien se rendre compte qu’être roux, c’est souvent faire partie d’une minorité (sauf si vous habitez en Ecosse, en Irlande ou en Scandinavie), donc forcément ça vous fout à l’écart de la société.

Ensuite, dans l’Histoire, il y a eu pas mal d’hypothèses biologiques pourries qui disaient que la rousseur pouvait être due à une erreur de la Nature, ce qui n’aide pas à une bonne intégration des roux dans la société.

Et puis, dernière explication parmi tant d’autres : au Moyen-Âge, on considérait que les visages tachetés étaient mauvais. Or, les roux ont souvent le visage couvert de taches de rousseurs. Mais bon, les vraies taches dans cette histoire, c’est les gros relous qui ont colporté ce genre d’idées toutes pourries.

Crédits photo (Domaine Public) : Gustave Courbet

"Les Chinois sont fourbes"

La sinophobie est hyper répandue dans la société, et malheureusement pas autant combattue que d’autres types de racismes. Pourtant, elle aussi remonte à pas mal de temps. Au 19e siècle, par exemple, un missionnaire protestant avait écrit Chinese Characteristics, un livre dans lequel il expliquait que la dissimulation et le mensonge étaient des traits de caractères du peuple chinois. Il faut dire qu’à l’époque, beaucoup accusaient la diaspora chinoise de propager des maladies, de convoiter les commerces des autres et de répandre le commerce délétère de l’opium. Ça explique comment s’est développée la peur de l’étranger, mais pas pourquoi on qualifiait les Chinois de « fourbes ».

Eh bien ce serait dû au fait que les Chinois avaient du succès en affaires, une langue indéchiffrable pour les Occidentaux, habitués à l’alphabet latin, ainsi qu’un visage sur lequel on ne savait pas lire les émotions. Ça, associé à une diaspora importante qui faisait peur aux Occidentaux, a forgé une grande méfiance envers le peuple Chinois. Du coup, il serait peut-être temps de laisser tomber ce cliché bien dégueu.

Crédits photo (CC BY-SA 4.0) : Danielnjoo

"L'art contemporain c'est pas vraiment de l'art"

Cette phrase, ainsi que le « Peindre trois points sur une toile blanche ? Moi aussi j’aurais pu le faire », c’est le genre de truc qu’on entend tout le temps au sujet de l’art contemporain. Et c’est vrai que c’est déroutant, l’art contemporain ; jusqu’à la fin du 19e, on avait plutôt tendance à valoriser les œuvres qui parvenaient à représenter le monde le plus fidèlement possible, alors exposer des trucs abstraits ou complètement difformes, ça choque un peu. Les impressionnistes en avaient déjà fait les frais, et les artistes contemporains s’en sont pris eux aussi plein la tronche.

Mais ce qui a achevé de créer une haine envers l’art contemporain, c’est l’emballement spéculatif qu’il y a eu autour : les riches ont fini par se jeter dessus et par payer des sommes folles pour des œuvres contemporaines. Du coup, par opposition, ceux qui n’ont pas accès à cet art – car ils n’ont pas les moyens – ont encore plus de défiance envers lui. La spéculation a renforcé les préjugés, et les a peut-être rendus vrais à certains égards.

Crédits photo (Domaine Public) : Marcel Duchamp

"On se croirait revenus au Moyen-Âge !"

Parmi tous les mensonges sur le Moyen-Âge, celui-là est le plus courant puisqu’il regroupe tous les autres clichés sur cette sympathique époque (les paysans qui ont une vie de merde, les seigneurs violents, les gens sales et ignorants, l’omniprésence de l’Église… les clichés habituels quoi.)

Si les historiens ont déjà remis tous ces clichés à leur place depuis un bon moment, le grand public n’a pas encore pris le pli, et dès qu’une catastrophe survient ou que la société évolue en mal, on nous sort des « on se croirait revenu au Moyen-Âge » à tout va. Pourtant, c’était pas au Moyen-Âge que les gens étaient les plus malheureux, mais plutôt au 17e siècle, théâtre de grandes crises économiques, épidémiques et, du coup, démographiques. Pour tout vous dire, on vivait plus longtemps au 13e siècle qu’au 17e. Alors pourquoi les gens se plantent à ce point ? Eh ben c’est un mélange d’ignorance et de films qui véhiculent des clichés pourris, probablement.

Crédits photo (Domaine Public) : Laurentius de Voltolina

"La langue française est foutue"

Cette phrase préférée des réacs est totalement incorrecte, vu que la langue française, en tant que langue vivante, ne cesse d’évoluer. Ceux qui affirment que la langue française est foutue tout en se paluchant sur la beauté des textes de Proust ne se rendent même pas compte que le français de Marcel ne serait qu’un vaste barbarisme aux yeux, par exemple, d’un Chrétien de Troyes qui écrivait au XIIe siècle. Pire, ces soi-disant « puristes » seraient eux-mêmes probablement incapables de lire un texte en ancien français.

Le plus drôle, c’est qu’au 19e siècle, on trouvait déjà des textes pour se plaindre du déclin de la langue française, qui va pourtant toujours très bien aujourd’hui. Au 16e, même, d’autres voulaient défendre la langue française contre son italianisation. Alors pourquoi aujourd’hui les gens disent que « la langue française est foutue » en lisant les SMS de leurs gosses, si eux-mêmes parlent un français qui n’est pas du tout le français originel ?

Eh ben parce qu’ils sont cons. Non, on rigole, il y a une autre explication. C’est déjà un peu à cause de l’Académie Française, institution spécifique à la France, qui joue à la police de la langue depuis 1634. Mais c’est aussi parce qu’en France, la langue est aussi un outil politique, et ce depuis des siècles. L’État se constitue à travers la langue, et inversement. Du coup, les gens ont l’impression que si la langue se perd, l’État se perdra. Mais c’est aussi un peu parce qu’ils sont cons.

Crédits photo (CC BY-SA 2.5) : Nitot

Maintenant deux choix s’offrent à vous : lire notre top des clichés sur l’Antiquité, ou vous procurer l’excellent livre Histoire des préjugés ci-dessous. Mais vous pouvez aussi faire les deux.