Il y a cinquante ans, Dennis Meadow (accompagné de sa femme Donella et de deux autres scientifiques) sortait un rapport fondamental pour le Club de Rome (ancêtre du GIEC) : « les limites de la croissance ». Dans ce texte, le physicien démontrait déjà que les ressources de la planète étaient limitées et que l’injonction à la croissance inhérente au système capitaliste n’avait pas lieu d’être. BAM. En 1972 on savait tout !

Bien qu’on ait littéralement chié sur ce rapport les cinq dernières décennies, on sait à quel point nous sommes confrontés à l’urgence climatique (le dernier rapport du GIEC annonçait qu’il nous restait à peine trois ans pour rectifier le tir et espérer vivre dans un monde vivable dans les prochaines décennies, YAY).

VOUALOUUUUUU. Une fois que ça, c’est posé, on peut commencer sereinement ce top sur les expressions bullshit de l’écologie. Celles qui avaient peut-être du sens au départ, mais qui ont été tellement récupérées par les technocrates qu’elles ne veulent plus dire grand-chose. Allez, Bisous.

Le développement durable

L’expression originelle née dans les années 80 était : « développement soutenable ». L’idée alors selon les termes de l’ONU est de « répondre aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

En gros, faites-vous plaisir mais soyez sympa n’empêchez pas vos enfants de kiffer un peu la life aussi. Mais de « soutenable » on est passé à « durable », et là ça commence à sentir de sapin. Pourquoi donc, me direz-vous ? Parce que le développement durable sous-entend que l’on va protéger l’environnement ET continuer de développer l’économie. Or c’était pas du tout ça ce qu’on voulait au départ, fichtre. Bigre.

La croissance verte

Un de mes pref ! Pour convoquer à nouveau Dennis Meadows, il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de croissance possible dans une perspective écologiste. Parler de « croissance verte » c’est un oxymore (comme quand on dit un steak végétal ou un violeur tendre).

Plus généralement, accoler la couleur « verte » pour tout et n’importe quoi ça sent la grosse fumisterie. Et que j’te colle des labels verts, de l’hydrogène vert et tout le tintouin. Après voilà hein, moi je veux pas casser l’ambiance du « New Deal Vert » mais j’avoue avoir tendance à voir le vert à moitié vide. MDR.

La transition énergétique

Rendez-vous compte ! On a même un ministère de la Transition écologique et solidaire, c’est bien que la transition doit être quelque chose de sérieux non ? Eh bien ça partait d’une bonne intention. Dennis Meadow (encore lui) parlait en 72 de la nécessité de faire « la transition d’un modèle de croissance à un équilibre global ». Là oui. Mais c’était en 72. A quoi ça sert de parler encore de transition énergétique quand on n’a plus le temps justement de faire une transition ?

Le terme « transition » a remplacé la « crise énergétique » tout simplement parce qu’il est moins angoissant ou comme l’explique Delphine Batho « Il laisse à penser que l’écologie n’est qu’un enjeu de long terme. La transition a ainsi été récupérée par les tenants du conservatisme pour renvoyer l’action à plus tard, comme un prétexte à l’inaction présente ».

D’autant plus que les grandes entreprises, les banques, se targuent aussi d’agir en faveur de la transition énergétique quand elles ont planté trois éoliennes alors que la grande majorité de leurs investissements sont axés sur les énergies fossiles. Est-ce qu’on se foutrait pas un peu de notre gueule ? Oui.

La neutralité carbone

En principe, la neutralité carbone vise à rééquilibrer les émissions de gaz à effet de serre générées par un particulier ou une entreprise en s’engageant à absorber la même quantité de gaz à effet de serre par la création de puits de carbone.

En gros je peux polluer comme un porc si je plante un arbre. Vous voyez comment ça sent la grosse connerie ? Dans le même panier je vous mets évidemment aussi la compensation carbone qui permet ni plus ni moins aux pays riches de continuer à s’offrir le luxe de polluer en… compensant.

Un comportement responsable

Et si on faisait du tourisme responsable ? Et si on mangeait de manière responsable ? Et si on portait des vêtements responsables ? Le monde d’aujourd’hui nous incite à tous devenir « responsable », qualité sacro-sainte de l’écolo en devenir : l’éco-citoyen. Il a adopté des éco-gestes et un comportement éco-responsable.

Là encore, c’est une manière de faire porter le chapeau au niveau individuel sans jamais impliquer le gouvernement qui a clairement décidé de ne pas en branler une en termes de responsabilité climatique. Franchement si j’étais dans une télé-réalité et que le gouvernement était dans une maison avec moi, j’irais trop le bully et je parlerais trop mal de lui en confessional.

Être résilient

Très sexy ce mot, il permet de mettre un peu tout dans le même panier : moins/mieux consommer, s’adapter, se préparer à l’effondrement, trier ses déchets, avoir un poster d’Aymeric Caron dans sa chambre. Bref, la résilience au départ c’est quoi ? Concept scientifique né dans les années 70, il désigne en écologie la capacité d’un écosystème à s’adapter après un choc subi.

Mais la résilience a conquis bien d’autres sphères depuis et même la Convention citoyenne pour le climat. Vous savez cette assemblée organisée par Cyril Dion qui avait pour but de proposer 150 mesures pour réduire les gaz à effets de serre d’ici 2030 et sur laquelle Emmanuel Macron a plutôt dit « balek de votre life ». Bon eh bien, un projet de loi a tout de même été élaboré à partir de cette convention « loi portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ». Sauf que dans les faits, aucune mesure de résilience n’a été prise.

Le mot est balancé à tout va fièrement parce qu’il sous-entend qu’on peut s’adapter à tout, c’est même une injonction. En gros, soyez résilients les frérots afin d’accepter plus facilement les merdes à venir. Bof bof.

Les énergies "propres"

« Propre » c’est un peu comme « vert », ça fait joli sur le papier mais c’est du foutage de gueule en puissance. Tout simplement parce qu’une énergie ne peut pas être propre. Les voitures propres, les avions propres, c’est de la grosse faribole.

Si vous avez encore quelques souvenirs de physique-chimie, vous vous rappelez que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». On ne fait donc pas disparaître la pollution, on la déplace. Par exemple, une voiture électrique (et donc « propre ») pollue moins quand elle roule mais plus lors de sa confection.

Dématérialisation

« Et si on se matait un film sur Netflix ? », « Et si on envoyait une vidéo marrante à 50 personnes par mail HAHAHAHA ? ». Le numérique a bon dos. On a l’impression que tout se passe par magie. Mais l’empreinte carbone du numérique est considérable, si Internet était un pays ce serait le cinquième consommateur mondial d’électricité. Je vous renvoie à ce top des conséquences écologiques du web, ça devrait vous mettre le seum. Bref derrière l’affabulation de jolis mots comme « dématérialisation » ou « cloud » se cachent bandes passantes et data centers très matérialisés eux, et dont l’énergie consommée est rarement « verte » ou « propre ».

Comme quoi l’écologie politique et technocrate est souvent une affaire de paroles.

Source : Socialter n°45 « L’écologie doit-elle protéger ses mots ? », Socialter hors-série « L’écologie ou la mort », Archipel du vivant, Le Monde, Jancovici