La prison, on sait ce que c’est : on passe devant un tribunal plus ou moins sympathique, on est condamné à une peine, on nous emmène dans une cellule qui peut être plus ou moins délabrée selon le pays où l’on se trouve et on passe un très mauvais moment pendant plusieurs mois ou plusieurs années, c’est selon, en priant pour que sa demande de remise en liberté soit acceptée.

En revanche, les prisons secrètes, on ne sait pas trop ce que c’est, parce que c’est secret.

La prison de Saidnaya en Syrie

En 2017, Amnesty International dévoilait un rapport sur les pratiques des autorités syriennes dans la prison secrète de Saidnaya, qui accueille des détenus en dehors de toute procédure judiciaire normale. Entre 2011 et 2015, plusieurs fois par semaine, les matons ont pendu jusqu’à 100 prisonniers sans sommation et sans procès. Au total, en cinq ans, on se parle de 13.000 assassinats de détenus n’ayant pas eu droit à un procès équitable et souvent arrêtées sur simple soupçon d’être opposant au régime de Bachar Al-Assad. Le pire, c’est le semblant de légalité mis en oeuvre par les autorités syriennes qui font passer les prisonniers devant un « tribunal militaire opérationnel » afin que celui-ci prononce sa sentence. Temps total de l’audience : 2 minutes. Il faut faire vite. Les détenus, yeux bandés, sont pendus à la va-vite et s’ils ne meurent pas dans les 10 minutes, on leur brise la nuque. Les autres détenus entendent les râles des victimes depuis les salles attenantes.

Bien sûr, la pendaison, ce n’était que la fin heureuse d’une histoire beaucoup plus aride : tortures, privations de nourriture, d’eau et de médicaments. A Saidnaya, les détenus n’ont pas le droit de parler ou de regarder les gardiens, sous peine de mort. Et de toute façon, ils meurent.

Les prisons secrètes de la CIA

En 2006, pressé par une enquête d’Amnesty International étayée par des rapports parlementaires et des investigations journalistiques, George Bush Jr. se voyait obligé de reconnaître ce qui, désormais, était devenu un secret de polichinelle. Les Etats-Unis, au travers de sa centrale de renseignement extérieur, disposaient d’un réseau de prisons secrètes disséminées à travers le monde et notamment en Afghanistan et en Europe de l’Est. Ces prisons, installées sous contrôle américain avec la complicité bienveillante des pays accueillants, échappaient à toute législation sur les droits des prisonniers, raison pour laquelle les Américains avaient fait le choix de les mettre en place à l’étranger. Ces prisons, dans lesquelles on trouvait principalement des personnes soupçonnées d’appartenir à des réseaux terroristes, étaient le théâtre de violations constantes des droits humains : torture (psychologique et physique), condamnations expéditives, conditions de détention abominables. En 2009, Barack Obama a fait fermer les prisons secrètes de la CIA (à part Guantanamo), proposant que les terroristes suspectés soient interrogés en mer, dans les eaux internationales, pour échapper là encore aux prérequis de l’Etat de droit.

Tazmamart, au Maroc

La prison secrète du Maroc est peut-être l’une des plus célèbres du monde. Située en plein désert, elle offrait des conditions d’incarcération absolument dégueulasses et aucune possibilité de s’évader (à moins d’aimer tout ce qui est mourir déshydraté au milieu du désert). La prison a été construite en 1973, peu après la tentative de coup d’Etat de Shikrat. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec l’histoire marocaine, sachez que le coup d’Etat de Shikrat est une opération qui visait à renverser (et tuer) le roi Hassan II. Plusieurs officiers marocains ont alors profité d’une réception fastueuse organisée par le roi dans sa résidence d’été en présence de centaines d’invités dont plusieurs dignitaires étrangers pour demander aux cadets d’une école militaire d’ouvrir le feu sur le parterre, le tout dans une déferlante de violence dingue qui a coûté la vie à une centaine de personnes sans pour autant réussir à atteindre le roi. Les commanditaires ont été fusillés, mais les petites mains ont reçu des peines étrangement clémentes. C’est que ces peines n’allaient pas être purgées dans les prisons classiques, mais à Tazmamart, prison secrète aux conditions de détention terribles. L’un des exécutants, Ahmed Marzouki, a ainsi été condamné à 5 ans de prison – mais il sera finalement emmuré vivant pendant 18 ans. Obscurité permanente, petits trous pour l’aération, pas de toilettes, pas de médicament et pas d’hygiène. 18 ans emmurés dans une cellule secrète sans jamais qu’on lui dise s’il en sortirait un jour. Il en sortira en 1991 sous la pression des ONG et écrira un livre, Tazmamart, pour raconter cette expérience. C’est cette publication, et l’écho qu’elle trouvera dans la presse internationale, qui forcera Hassan II à fermer la prison au début des années 1990.

La prison de Lefortovo en URSS

Construite à Moscou en 1881 à l’initiative d’Alexandre II, la prison de Lefortovo a une architecture en forme de K, hommage direct à Catherine II de Russie. Jusque là, rien de bizarre. Sauf qu’à compter des années 1934/35, la prison était placée sous tutelle du NKVD, l’ancêtre du KGB, qui y installait les dignitaires soupçonnés de trahison pendant les grandes purges. Torture, interrogatoires c’est souvent synonymes), assassinats. Le KGB a continué d’exploiter Lefortovo pour y détenir et interroger les prisonniers politiques et il faudra attendre 2005 pour que le FSB consente à rétrocéder l’administration de la prison au ministère de la Justice russe. Soljenitsyne ou Limonov ont été détenus à Lefortovo, entre autres dizaines de milliers d’anonymes qui n’en sont pas toujours sortis vivants.

Aschan, la prison secrète pour les dignitaires nazis

Si on vous dit « les méchants » vous répondre « les nazis ». Ce en quoi on ne peut pas tout à fait vous donner tort. Les horreurs pratiquées par les nazis sont bien connues, aujourd’hui, même si les exterminations pratiquées dans les camps demeuraient relativement (j’ai bien dit relativement) secrètes pour le commun des mortels pendant la guerre. En revanche, ce que l’on sait moins, c’est comment ont été détenus les hauts dignitaires nazis lors de l’arrivée des Alliés à Berlin. Et dans ce cadre, l’horreur n’est pas forcément là où on le croit : ils ont été bien traités. Hermann Goering, Franz von Epp, Joachim von Ribbentrop ou encore Otto Meissner ont ainsi été détenus à la prison américaine secrète d’Aschan, installée à la va-vite dans un hôtel de la capitale allemande. Au départ, les Américains ne prévoyaient pas nécessairement de déferrer les responsables nazis devant un tribunal et ceux-ci étaient donc traités comme des prisonniers de guerre. Surtout, les Américains cherchaient à mieux comprendre l’organisation du régime nazi et à en percer les secrets. Ils ont donc mis en place une technique redoutable : ils ont joué les cons, façon Columbo. La plupart des gardiens d’Aschan étaient de jeunes recrues qui singeaient la naïveté pour flatter l’ego des nazis et ainsi obtenir un maximum d’informations.

La prison de Kahrizak, en Iran

Plouf plouf ce sera toi qui iras mourir en Iran au bout de trois, un, deux, trois. C’est à peu près comme ça que l’on peut se retrouver à Kahrizak, au terme d’une procédure dont la légalité est quand même discutable. Fermée en 2009, cette prison, réservée aux détenus de droit commun, était une véritable tombe sur fondations. On y pratiquait la torture, le viol, les pires exactions, le tout à quelques kilomètres au sud de la capitale. Tout comme à Evin, où étaient parqués les prisonniers politiques – mais là, un simple manquement à la loi islamique suffisait à se retrouver enfermer. Kahrizak accueillait tous ceux que le pouvoir islamiste rejetait : les prostituées, les voyous, les voleurs, les maquereaux… Et le pouvoir les laissait mourir dans leur cellule. Aucune norme ne s’appliquait à Kahrizak.

Pressé par les organisations internationales de fermer le centre de détention, ce à quoi Khamanei a consenti en 2009, le pouvoir iranien de l’époque a tout fait pour éviter que des enquêtes ne viennent à révéler ce qu’il se passait vraiment à Kahrizak. Un jeune médecin du camp, Rmin Pool Andarjani, 26 ans, a ainsi été suicidé pour éviter qu’il ne témoigne.

Le Camp 1391 de Tsahal

Ce Camp de l’armée israélienne, officiellement fermé en 2006, était surnommé le « Guantanamo israélien » par les médias. Et pour cause : c’est là que les détenus sensibles (et parfois illégaux) étaient interrogés par les forces armées et les services secrets israéliens. On sait très peu de choses sur les conditions de détention au Camp 1391, mais on peut imaginer qu’elles étaient assez dégueulasses puisque la Cour suprême israélienne a refusé d’autoriser une enquête sur les pratiques courantes dans le camp. Plus absurde, c’est un historien israélien qui a découvert par hasard l’existence de la prison en 2003 en remarquant qu’un ancien centre de la police britannique datant de l’époque où la Grande-Bretagne exerçait un protectorat sur la Palestine avait totalement disparu des cartes récentes.

La colonia DIgnidad au Chili

Imaginez un ancien brancardier nazi, dégoûté de n’avoir pas eu d’avancement dans la Waffen SS et qui décide, après la guerre, de fuir au Chili pour y devenir prédicateur et fonder une colonie néonazie qui, protégée par le pouvoir pinochetiste, bénéficie du statut de société de bienfaisance. Cet homme s’appelle Paul Schäfer et il a poussé le vice plus loin, en transformant cette colonie en orphelinat, ce qui lui permettait de s’adonner à sa passion première : la pédophilie.

Tout cela s’organisait avec la complicité tacite de la police chilienne qui se servait des centaines de kilomètres carrés alloués à la Colonia Dignidad (traduisez colonie dignité) pour entreposer des armes de guerre dans le cadre du plan Condor, mais aussi à torturer et tuer des opposants au régime dans le plus grand secret. Car rien ni personne ne pouvait interférer avec la police secrète chilienne dans la colonie : sur ce territoire, Schäfer régnait en maître absolu et accueillait au plaisir des criminels de guerre recherchés, à l’image de Mengele. Dans la colonie : travail forcé et eugénisme.

A la chute de Pinochet, Schäfer a réussi à maintenir son petit monde jusqu’à finalement se faire rattraper par la justice. Capturé en 2005 en Argentine, il est mort en 2010 en captivité, à près de 90 ans.

Les centres clandestins de détention argentins

La dictature argentine s’est soldée par des centaines de milliers de « disparus », des opposants au régime ou de simples intellectuels de gauche arrêtés sommairement du jour au lendemain et évaporés dans la nature. Par « évaporé », il faut bien évidemment entendre « assassinés ». Mais pour mener à bien pareille opération, la dictature s’était remarquablement organisée : elle comptait sur deux types de structures complémentaires. Les premières, les LRD, étaient des prisons secrètes où les détenus étaient torturés (et alors là on y va, hein, déshumanisation, viols répétés, privations de nourriture… le but étant de se venger de qui ils étaient et pas même d’obtenir des informations) puis assassinés ; les secondes, les LT, servaient de fausse adresse à communiquer à la famille pour faire croire que les disparus étaient encore en vie. Il arrivait à l’occasion que les personnes assassinées par le régime soient jugées a posteriori, mais c’était rare. La plupart du temps, ils se contentaient d’être balancés d’un hélicoptère, brûlés vifs ou enterrés vivants et tant pis pour la paperasse.

Les prisons noires de Pékin

Le régime chinois dispose d’un grand nombre de prisons. Mais pour ses basses oeuvres, il réquisitionne des lieux a priori privés : ces hôtels, de salles de spectacle, des cinéma… C’est là que le parti communiste lave son linge le plus sale, dans ces prisons clandestines qu’on appelle les prisons noires. On y pratique comme partout la torture, l’humiliation et tout le toutim. La plupart des personnes enfermées dans les prisons noires sont des particuliers qui ont décidé d’entamer des recours judiciaires contre l’Etat chinois ou l’un de ses tentacules. Ils ne sont pas assassinés, mais retournent dans leur province bien décidés à ne plus jamais commettre la folie de vouloir faire valoir leurs droits.

Je sais pas vous, mais moi c’est full bonne humeur là.