Ce n’est pas parce que l’on a écrit un chef d’oeuvre qu’on est obligé de l’aimer. Le principe de la création, c’est généralement de chercher à fabriquer un truc totalement nouveau, totalement inédit, quelque chose qui puisse transmettre une vision du monde originale, propre et parfaitement intelligente. Or, à force de bosser sur un truc, on finit par s’en dégoûter. Et c’est ce qui est arrivé à bon nombre d’écrivains, lesquels ont peu à peu renoncé à défendre le contenu de leur travail pour n’y voir que les erreurs, les approximations, les maladresses, les ratés. Et jusqu’à en avoir honte.

Louise May Alcott détestait Les Quatre filles du Docteur March

Elle trouvait son travail terne et ennuyeux et en avait marre d’écrire des trucs pleins de bons sentiments visant à édifier la jeunesse de l’époque. Elle s’est donc remise à écrire des trucs d’aventure et de suspense avec des héroïnes féminines, mais manifestement on n’attendait pas ça d’elle puisque personne ne connaît rien d’autre de ce qu’elle a écrit.

Ian Fleming ne supportait pas L'Espion qui m'aimait

Tous les James Bond se ressemblent. A part peut-être L’Espion qui m’aimait, immense succès de Ian Fleming adapté au ciné à l’époque Roger Moore (pas la meilleure). Ce bouquin, Ian Fleming l’a pensé du point de vue de l’héroïne, une espionne russe, et non pas de celui de Bond. Et de ce fait Fleming en profite pour tourner en dérision les travers machos et alcoolos de son habituel Bond. La critique a descendu le livre et Fleming a imposé à son éditeur de dégager le livre des rayonnages. Ce n’est qu’après sa mort qu’il a pu être à nouveau imprimé.

Kafka trouvait La Métamorphose à chier

Kafka était connu pour régulièrement mépriser ce qu’il venait d’écrire. La Métamorphose, probablement son oeuvre le plus connue parce que la seule vraiment étudiée au lycée, n’échappe pas à la règle. Kafka trouvait ça vraiment nul. Sur son lit de mort, il a même demandé à son pote et éditeur Max Brod de brûler tout ce qui n’avait pas encore été publié parmi les milliers de pages inachevées, précisant qu’il ne fallait pas les lire. Mais Brod n’a pas écouté Kafka et c’est comme ça que des romans inachevés, dont Le Château, ont pu ensuite être lus de tous.

Anthony Burgess voulait répudier Orange mécanique

C’est son biographe, D.H. Lawrence, qui l’écrit dans l’ouvrage qu’il a consacré à Burgess. En gros, Burgess détestait l’interprétation de son oeuvre et notamment toute la glorification du sexe et de la violence qui y était attachée – une glorification qui dénaturait totalement son oeuvre, selon l’auteur. Cette mauvaise interprétation le poursuivrait jusqu’à sa mort, selon Burgess, qui regrettait de ce fait d’avoir même écrit le bouquin.

Conan Doyle aurait tout fait pour éviter d'écrire Le Chien des Baskerville

Il en avait ras la casquette de Sherlock, Conan Doyle. Raison pour laquelle il l’a tué, d’ailleurs, en même temps que son ennemi juré Moriarty aux chutes de Reinchenbach. Sauf que… Les autres bouquins de Conan Doyle ne marchaient pas et l’auteur continuait de recevoir des lettres de fans qui lui demandaient de faire revivre le détective (quand elles ne s’adressaient pas directement au détective en pensant qu’il existait déjà). Sous la pression, Conan Doyle a donc ressuscité Sherlock dans quelques nouvelles avant de lui offrir un immense dernier tour de piste dans Le Chien des Baskerville, son plus grand succès sans doute. Conan Doyle s’en serait bien passé.

Tolstoï avait honte de Guerre et Paix et Anna Karénine

Proche de Tolstoï, Pavel Basinsky a longtemps raconté à quel point le plus grand auteur russe (ou pas loin) avait développé une véritable honte pour ses deux plus grands romans. C’est notamment en raison d’une conversion religieuse tardive que ces oeuvres lui paraissaient dégueulasses.

Stephen King trouve sa première publication nulle à chier

Tellement nulle, qu’il l’a même publiée sous pseudo (Richard Bachman). Ce livre, Rage, publié en 1977, raconte l’histoire d’un lycéen qui décide de faire un shooting généralisé dans son lycée. Mais rapidement on a retrouvé le livre chez plusieurs auteurs de tueries de masse dans des écoles et King s’est dit qu’il avait vraiment fait de la merde. Il a pris ses distances avec le livre et demandé à son éditeur de ne plus le réimprimer.

Cortazar a détruit la moitié de ses contes qui l'ont rendu célèbre

Il a aussi réussi à se débarrasser complètement de ses deux premiers romans (Las nubes y el arquero et Soliloquio). Toujours insatisfait de son travail, il a passé sa vie à critiquer puis réhabiliter puis critiquer puis réhabiliter ses oeuvres, depuis Les Gagnants jusqu’au célébrissime Marelle qui ne satisfaisaient jamais totalement ses ambitions littéraires.

Gogol a cramé la deuxième partie des Âmes mortes pour des raisons religieuses

Après un périple à Jérusalem en 1848, Gogol décide d’abandonner la littérature. Peu avant sa mort, rejetant toute sa production littéraire, il fout le feu à la deuxième partie des Âmes mortes qui est pourtant son chef d’oeuvre. Heureusement, certains feuillets ont pu être retrouvés et édités par la suite.

Nabokov a voulu détruire L'original de Laura

Publié en 2009, longtemps après sa mort, ce dernier roman posthume de Nabokov devait être détruit, selon les instructions de l’auteur. Mais Nabokov a toujours eu un rapport complexe à sa production littéraire. Il regrettait notamment, un peu comme Burgess, l’incompréhension du public face à Lolita. Les lecteurs y voyaient le récit d’une nymphette et d’un type un peu bizarre là où Nabokov avait voulu dérouler le récit d’un pervers, laissant entendre d’ailleurs que les provocations de Lolita étaient des projections mentales de Humbert Humbert. Comme Burgess et comme King, il n’était d’ailleurs pas content de l’adaptation cinématographique de son roman par Kubrick.

Dur dur d’être satisfait.

Sources : Cracked, Lithub, Cheatsheet