Il semble y avoir, au minimum, un malentendu entre le rap et la perception qu’en ont les médias généralistes. C’est comme ça depuis le début de l’arrivée de cette musique en France, et c’est particulièrement désagréable pour les fans et les artistes. Mais il faut avouer que ça nous donne quelques pépites.

"Quand le rap dérape"

Un des jeux de mots les plus claqués possibles, mais qui continue d’être utilisé en titre d’articles nuls, d’émissions nulles, de chroniques nulles, etc. Ça dure depuis maintenant plus de 25 ans, à vue de nez. C’est pratique vu que ça permet de parler d’à peu près tout et n’importe quoi derrière. La preuve avec un nouveau reportage de Bernard De La Villardière qu’on attend impatiemment (non), le 23 août prochain.

Prendre seulement l'angle social

Il y a pas mal de rappeurs qui s’expriment pour dénoncer pas mal de trucs qu’ils ont vécu ou dont ils ont été témoins. Mais plus on avance dans le temps et plus ça s’est diversifié, au point que désormais des albums entiers n’ont pas d’autre vocation que de faire danser les gens tandis que d’autres sont avant tout très personnels et introspectifs. Mais rien n’arrête les médias français qui renverront toujours les artistes à leur milieu d’origine. Alors que quand on fait 3 showcases par semaine et des clips sur un yacht, ce n’est pas spécialement pour venir détailler des visions fantasmées d’escaliers qui puent la pisse.

Faire des liens douteux avec la chanson française

Il peut exister, dans le cas de certains artistes, des influences revendiquées qui renvoient à des cadors de la chanson. Malheureusement la presse a tendance à systématiser la chose et à considérer implicitement que le but final d’un rappeur francophone talentueux est d’être l’héritier de la chanson française. On appréciera le côté paternaliste inconscient puisque le summum d’un compliment, dans ce cadre, c’est juste un parrainage hors-sujet qui offrirait un droit d’entrée dans la « vraie » musique. Avec une petite tape affectueuse dans le dos.

Mettre en avant les faits divers

En 2018 l’intégralité des chaînes info ont parlé de rap français non stop pendant une semaine, une première dans le paysage médiatique français. Bon par contre c’était juste pour la baston Booba vs Kaaris à Orly. C’était quand même beaucoup plus important que parler d’un concert dans un stade ou des chiffres de ventes qui battent des records. Ou, soyons fous, de musique. C’est à peu près l’équivalent d’une presse qui parlerait cinéma uniquement à travers l’affaire Weinstein ou les scandales impliquant des arrestations d’acteurs ; une ligne édito un peu spéciale, vous en conviendrez.

Prendre un rappeur au pif et le décrire comme l'exception

Une fois tous les 5 ans, les journalistes font une réunion dans des catacombes avec des capuches sur la tête, et choisissent un rappeur qui sera leur élu. A priori c’est celui qui est le plus susceptible de plaire au public qui n’aime pas le rap. Du coup on l’interviewera toujours sur le mode« vous n’êtes pas comme les autres » sans oublier LA formule : « à mille lieues des clichés habituels du genre » en début de description. Une façon subtilement vicelarde de dire « toi t’es un bon mais les autres sont quand même tous des débiles profonds ». La gentrification qu’on aime.

Traiter les rappeurs US en stars et les rappeurs français en minables

Si vous êtes tombés sur des émissions télé ces 10 voire 20 dernières années, une chose a dû vous sauter aux yeux. D’un côté les stars du rap US sont traitées pour ce qu’elles sont, à savoir des stars internationales, au même titre que des cinéastes, rockstars, on en passe. A l’inverse, le rappeur français, même s’il vend plus dans le pays et est plus connu des spectateurs, sera toujours accueilli comme un bouseux qui n’a rien à faire là et qui a avant tout eu de la chance entre deux gardes-à-vue, même s’il a une carrière longue comme le bras. Ce qui nous amène au point suivant.

Inviter les rappeurs français juste pour les piéger

Que ce soit Vald, Booba, Nekfeu, Kery James, Orelsan, Rohff, La Rumeur et bien d’autres, nombreux sont ceux qui sont allés sur un plateau TV de bonne volonté. Et ils se sont à chaque fois retrouvés dans une sorte de guet-apens. On leur ressort des paroles hors-contexte, on les rend plus ou moins responsables de la délinquance, de la violence en général et encore ça c’est quand on ne peut pas leur sortir la carte religieuse (« Vald, votre frère est musulman » en dernière question, toujours invaincu) ou la petite dernière : le racisme anti-blanc. Des grands moments de solitude.

Comparer tous les rappeurs blancs à Eminem

Un grand classique. Parce que ce serait con d’être perfectionniste à ce stade, dès qu’un rappeur blanc a un peu de succès, on lui trouve un point commun avec le rappeur de Detroit, et là c’est un open bar de non-sens. Vald utilise la provoc ? Eminem français. Sinik a fait des battles ? Eminem de banlieue. Nekfeu peut rapper très rapidement ? Eminem chevelu. Orelsan décrit la loose de manière marrante ? Eminem de Caen. Ce qui est génial c’est que la comparaison est à la fois insultante pour Eminem qui n’en demandait pas tant et pour le rappeur comparé puisque leur musique n’ont aucun foutu rapport. Mention spéciale au « Lomepal, le Eminem du 13e arrondissement » qui reste un mystère jusqu’à aujourd’hui.

Ne parler que du machisme

Là c’est un cas particulier dans la mesure où techniquement, le rap est évidemment misogyne puisqu’il est à l’image de la société qui l’a vu naître. Ce qui est légèrement farfelu c’est d’affirmer en permanence qu’il est pire que tous les autres milieux alors qu’a priori, le cinéma, la télévision, la publicité, les autres musiques et la presse elle-même sont au moins autant concernés. Faire des sujets entiers sur ce thème tout en produisant des documentaires pour expliquer que Johnny en couple avec la fille mineure d’un de ses potes c’est un conte de fées : l’audace, c’est ça.

Inviter des experts qui n’en sont pas

« Experts » dans ce milieu, ça veut dire branleur mais qui a de l’assurance quand il parle. Les mecs disent n’importe quoi, mais en donnant l’impression qu’ils ont réfléchi. Sur BFM ça a donné une analyse folklorique du clash booba-kaaris : « oui, ça me rappelle le clash Tupac/Biggie ». Déjà on part mal, mais l’expert a ajouté « Biggie s’est fait tirer dessus dans son studio, il s’est pris une balle dans la tête mais il a survécu et ensuite représailles, Tupac est tué à Chicago ». En moins de 10 seconde le mec s’est foiré sur les événements, la chronologie et les lieux. A ce niveau ce n’est plus une intervention télé, c’est une œuvre d’art.

Confondre les rappeurs entre eux

A leur décharge, il faut avouer que les rappeurs sont souvent basanés, donc ça doit pas être facile. Du coup, à la mort de certains, c’est la détresse. On se souvient, émus, de tous ceux qui avaient confondu Prodigy de Mobb Deep avec le groupe électro du même nom, photo à l’appui.

Bon en même temps il faut savoir que quand ils utilisent des astuces pour les différencier ça donne « Nipsey Hussle, le rappeur ami de Rihanna » donc c’est pas forcément mieux.

Bien sûr, tout ça peut paraître un poil déprimant si vous êtes fans de rap. Et rassurez-vous, vous n’êtes pas seuls, les clichés sur le métal sont tout aussi ridicules.