Chère mamie… Tous les étés, ça recommence, tu te sens obligée de partager avec tes proches tes impressions sur ton séjour. Pour passer le temps ou pour crâner, tu les inondes de cartes, comme pour leur rappeler que tu penses à eux alors qu’en fait tu cherches juste à faire la compet’ de qui s’amuse le plus. Bon, on ne te reprochera pas de céder à la tradition, mais encore faut-il le faire dans les règles.

"Ici tout va mal, j'espère que pour vous aussi"

Quelle que soit la teneur véritable de tes vacances, l’étiquette t’impose, dans ta carte postale, de faire croire que tu passes un moment exceptionnel. Si tu commences à donner dans le « il fait moche et cette grognasse de Martine me pompe l’air », tu ne feras pas rêver tes petits camarades restés au pays pour pouvoir subvenir à leurs besoins. De la même manière, profiter de ses vacances pour souhaiter du malheur aux personnes qui ne sont pas parties n’est pas un acte de civisme tel que l’imagineraient l’abbé Pierre et la Convention de Genève. Vilain, va.

"Je vous écris pour vous dire que je ne reviendrai jamais"

Ton séjour dans les bidonvilles du Pérou t’a sans doute totalement changé, mais personne ne doute que tu finiras par revenir même si tu décides volontairement de rater ton avion pour t’engager auprès d’une ONG. Aussi, ce genre d’engagement moralisateur est simplement à même de déclencher l’hilarité chez tes futurs lecteurs et à t’attirer leurs quolibets une fois que tu seras revenu sur le sol natal avec une bonne grosse dysenterie. Préserve-toi.

"Rapatrié par la CIA en Australie, surtout ne vous occupez pas des gravats sous la terrasse"

Une belle connerie commise par Dupont de Ligonnès alors qu’il profitait de ses premières vacances sans les gosses depuis 15 ans. Ou comment transformer tes vacances en chasse à l’homme ou en partie de cache-cache géante. Et puis surtout ça ne permet pas d’apprendre des trucs sur le temps qu’il fait là où tu es, ce qui est quand même le truc le plus important dans une carte postale.

"Je crois que les paysages te plairaient beaucoup"

Il est très probable que les paysages me plairaient beaucoup. Il se trouve simplement que je n’ai pas du tout pu partir, moi, parce que je n’ai pas assez d’argent / un métier qui m’en a empêché / des enfants à garder / la police à mes trousses (rayez les mentions inutiles). Inutile donc de me renvoyer à la gueule le fait que je suis en train de rater ma vie pendant que tu prends des couleurs ou de me bassiner avec la beauté des endroits que tu visites quand je rentre tous les soirs dans mon clapier de 13 mètres carrés. Merci.

"La Chine est un très beau pays même si c'est une dictature affreuse où l'on voit des gens se faire tuer à tous les coins de..."

Globalement, ton séjour éthiquement discutable dans une dictature ne devrait tout de même pas te conduire à une arrestation manu militari par une police dont tu ne parles pas la langue. Pour te préserver de tout séjour dans une prison mal ventilée et t’assurer que ta missive arrive à bon port, le mieux est donc de s’en tenir à une description factuelle des paysages et des rencontres (forcément) enrichissantes que tu as pu faire au pays de la non-liberté de parole, quitte, plus tard, à essayer de militer pour une meilleure prise en compte de tous ces enjeux étrangers qui font l’objet d’une relative indifférence au bercail.

Bisous mamie, j’espère que tout va bien pour vous.