Commençons par un petit tour d’horizon du côté des Unes de presse de ces derniers jours : 12 septembre 2022, Libération, « Affaire Hulot: l’enquête pour viol classée sans suite pour prescription » ; 1er septembre, TF1, « Richard Berry accusé d’inceste : l’enquête classée sans suite pour prescription » ou encore France 24, le 7 septembre, « Ferrand/Mutuelles de Bretagne : la Cour de cassation tranche sur la prescription ». Ok, très bien, mais c’est quoi cette carte joker (qui permet visiblement aux personnes accusées de viol de continuer leurs petites vies pépouze) ? On essaie de comprendre ensemble.

Pour commencer, la prescription, c'est quoi ?

En justice, la prescription est une durée au-delà de laquelle une action judiciaire ne peut être exercée. Une sorte de « date de péremption » d’un crime, d’un délit ou d’une contravention, qui fait que, même si ce dernier est reconnu, son responsable ne peut plus être inquiété ou poursuivi.

Il existe deux types de prescription

La prescription « extinctive », d’abord. Selon l’article 2219 du Code Civil, « La prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. ». En clair : la prescription extinctive est un délai défini par la loi, qui, une fois dépassé, éteint le droit d’agir devant la justice.

Ensuite, il y a la « prescription acquisitive ». Selon l’Article 2258 du Code Civil, « La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. ». A l’inverse, la durée de temps permet ici d’acquérir un droit. C’est le cas, par exemple, d’un objet trouvé dans la rue qui devient vôtre si son propriétaire ne s’est pas manifesté sous trois ans à compter de la perte de l’objet (et non pas un an et un jour ! La preuve à l’article 2276 du Code Civil).

Il existe différents délais selon l'importance des crimes et délits

3 mois : injures ou diffamation, et jusqu’à un an s’il s’agit de racisme, de sexisme ou d’homophobie.

1 an : pour les contraventions.

6 ans : pour tous les délits. Quand il s’agit de « délits cachés » comme un abus de biens sociaux, le délai de prescription ne débute qu’à partir du moment où les faits sont découverts. Petite complexité supplémentaire : les poursuites ne peuvent pas non plus être engagées si les faits ont plus de douze ans. Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? Bah j’vous le demande, ouais.

20 ans : pour la majorité des crimes.

30 ans : s’il s’agit de « crimes plus graves ». C’est le cas pour des actes terroristes ou un viol.

Notez que, pour des faits commis sur mineur, le délai court à partir de sa majorité.

Seuls crimes imprescriptibles : les crimes contre l’humanité.

La prescription existe depuis très (très) longtemps

Il faut effectivement remonter looooin dans l’histoire pour arriver à la notion de prescription en droit : elle serait héritée du droit romain. Plus précisément, du règne d’Auguste, puisqu’elle aurait été instaurée en 18 ou 17 avant Jésus-Christ. Il s’agissait alors d’un délai de 5 ans pour les « délits de la chair ». Ensuite, c’est Saint-Louis qui, en 1246, installe la prescription dans notre droit. La prescription des peines apparaît au moment de la Révolution française. Enfin, c’est le code d’instruction criminelle qui, en 1808 (sous Napoléon), fixe ses délais de l’action publique. Au fil des années, la loi a évolué au rythme de réformes, comme celle de 2008, abaissant le délai de prescription de droit commun de 30 ans à 5 ans.

Plusieurs arguments justifient ces délais...

Pour commencer, il fait écho à différents droits : le « droit à l’oubli » ou le « pardon légal ». Ensuite, il est entendu qu’un trop long laps de temps entre des faits et une comparution en justice présente des risques sur la qualité du procès : on parle de « dépérissement des preuves », « fragilité des anciens témoignages » et de « risque de déception ». Enfin, il est également question de contraintes techniques liées à l’institution judiciaire : la prescription permet de réguler le nombre d’affaires à traiter.

... Et des contre-arguments les condamnent

Parmi les éléments avancés : les progrès scientifiques en matière de durée des preuves. Aujourd’hui, les recherches d’ADN sont plus avancées, les techniques de conservations des scellés se sont améliorés et augmentent leurs durées de validité, parfois au-delà des périodes de prescription actuelles. De la même manière, les traces écrites sont désormais faciles à retrouver (comme les mouvements financiers ou les messages échangés).

Ces levés de boucliers s’expliquent aussi par des faits de société. En effet, les tabous tombent de plus en plus, la parole se libère sur certains sujets, et la société devient plus sensible à l’impunité.

Le délai de prescription et celui de forclusion sont deux choses différentes

Même s’ils semblent très proches, je vous l’accorde. Par définition, le délai de forclusion « est la durée pendant laquelle il est possible d’exercer une action en justice. Passé ce délai, une action en justice n’est donc plus envisageable. Le délai de forclusion limite ainsi, dans le temps, la possibilité de faire valoir un droit devant la justice. ». Quelle différence, me direz-vous ? Eh bien, la forclusion est simplement plus stricte que la prescription: elle est inéluctable, alors que la prescription peut être suspendue, on y revient tout de suite !

La prescription peut-être suspendue ou interrompue

Suspendre une prescription revient à en arrêter temporairement le cours, sans pour autant effacer le délai déjà parcouru. A l’inverse, l’interruption annule le chemin parcouru, et un nouveau délai recommence à compter de la date d’acte interruptif. Ce cas de figure peut notamment se présenter si un incident majeur ou un empêchement résultant de la loi rend l’action impossible, ou bien si elle est dirigée contre un mineur non émancipé ou un majeur sous tutelle.

Vous pensez que ça fonctionne aussi pour les animaux condamnés en justice ?

Sources : économie.gouv.fr, Service-public.fr, Légavox, Le Monde