Salut mes petites créatines (vous savez la créatine c’est cette fameuse substance protidique qu’on trouve dans les muscles, si vous ne le savez pas c’est parce que vous lisez trop la composition de votre shampoing et pas assez le dictionnaire, je vous le dis).

Aujourd’hui on vous embarque dans la folle histoire des dictionnaires, ces livres dont on sait toujours comme ça va finir (je vais vous faire gagner du temps : c’est le z qui a fait l’coup). Pour l’occasion on a même rencontré Géraldine Moinard, directrice de la rédaction au sein des éditions Le Robert qui a eu la gentillesse de répondre à nos interrogations existentielles sur le sujet.

Qui choisit les nouveaux mots ?

On a cette fâcheuse tendance à croire que c’est l’Académie Française qui choisit les nouveaux mots mais pas du tout, le choix des nouveaux mots est une décision qui est propre à chaque maison d’édition. Au Robert, c’est un comité éditorial composé d’une dizaine de personnes parmi lesquelles des lexicographes, des éditeurs et des documentalistes. Pour certains sujets scientifiques il est toutefois possible de faire appel à des spécialistes si on a un doute sur un mot.

Quels sont les critères d'intégration d'un nouveau ? C'est quoi leur CV pour atterrir dans le dico ?

Il y a trois critères qu’on évoque souvent : la fréquence, la diffusion (qui emploie ce mot ? quels médias ? est-ce qu’on retrouve ce mot sur les réseaux sociaux ?), la pérennité. Par exemple avec le Covid, beaucoup de mots plus spécifiques à la médecine sont rentrés dans le dictionnaire parce qu’ils se sont diffusés dans la presse et dans les discussions au détour de la pandémie. Aujourd’hui on sait tous ce qu’est un écouvillon, un cas contact etc.

Combien rajoute-t-on de nouveaux mots chaque année ?

Au éditions Le Robert, on ne limite pas le nombre mais chaque année on se retrouve en moyenne avec 150 nouveaux mots/sens/expressions (“sens” parce que dans la quantité de nouveaux mots il y a aussi des nouveaux sens qui arrivent sur des mots déjà existants). Le nombre d’ajouts est aussi limité par des contraintes de temps et de ressources humaines. On peut difficilement traiter davantage de mots. Dans le cas du Covid, le sujet a focalisé l’attention de toute la société. Voilà pourquoi une part importante des mots qui sont entrés dans le Petit Robert de l’année 2020 avaient trait au domaine médical.

Et d'ailleurs, comment les repère-t-on ces nouveaux mots ?

Comme nous l’explique Géraldine Moinard « Il y a un côté très artisanal, on est très attentif à une nouvelle expression qu’on peut entendre en soirée ou dans le métro. Pour ma part j’écoute beaucoup les conversations dans le métro et autour de moi dans la rue surtout quand ce sont des personnes plus jeunes. Mais ça peut aussi être dans un livre ou un catalogue. On va tout de suite avoir le réflexe de le noter sur une fiche qu’on va enrichir dans notre base de données. »

Cette analyse plutôt “humaine” va être couplée à des outils informatiques qui vont permettre de scanner des corpus de textes (en majorité issus de la presse et des réseaux et de la littérature) ; l’outil informatique repère des suites de caractères qui n’existent pas dans le dictionnaire. Forcément il y a beaucoup de bruit et un gros travail de tri à effectuer. « On couple ce qu’on trouve nous-mêmes au travail de la machine. »

Quelle est l’influence des réseaux sociaux sur les choix des nouveaux mots ?

« Les réseaux sociaux c’est plutôt une manière de mettre à l’écrit ce qui est de l’ordre de l’oral, on y écrit comme on parle or c’est bien plus complexe d’avoir des corpus oraux », nous explique Géraldine. Toutefois, les réseaux permettent aux lexicographes de repérer des choses un peu plus familières très fréquentes à l’oral qui se retrouvent beaucoup moins dans les médias dont le niveau de langue est naturellement plus élevé.

Comment sélectionne-t-on les noms propres ? Qu’est-ce que vous attendez pour rentrer mon nom en faitch ?

Ce ne sont pas exactement les mêmes systèmes de sélection puisque la notion de fréquence est moins pertinente dans ce cas de figure. Si on se basait sur la notoriété on devrait rentrer tous les influenceurs et stars de la télé-réalité… On va plutôt se concentrer sur la pérennité et l’importance de la personne dans son domaine. C’est assez difficile à mesurer mais on se base aussi sur des critères objectifs : récompenses, titres olympiques, prix Nobel, présidents et premiers ministres français, pour les étrangers on se limitera plutôt aux chefs d’Etat qui ont le plus d’interaction avec la France, etc.

A quel moment décide-t-on de supprimer un mot ?

C’est assez rare, car un mot dont l’usage faiblit va tout de même perdurer dans des textes (notamment dans la littérature) donc on évite d’enlever des mots. On va plutôt indiquer qu’un mot est “vieilli” ou carrément “vieux” quand il n’est vraiment plus utilisé. Dans le dictionnaire numérique la question ne se pose pas, on conserve toujours les mots. Dans la version papier ça peut arriver, même si c’est extrêmement rare. « On le fait très rarement car on a des programmes de mise en page très puissants qui permettent de caser toujours plus de mots, on joue sur des interlignages très fins. La dernière fois qu’on a retiré beaucoup de mots c’était en 93 (suite aux réformes orthographiques de 1990) », ajoute Géraldine Moinard.

Comment se rédige la définition d'un mot ? Qu'est-ce qui la différencie des autres dictionnaires ?

On va d’abord étudier les occurrences de ce mot-là, les contextes d’emploi du mot et en déduire un sens général et commun : c’est le travail du lexicographe. C’est pas toujours évident, notamment dans certains cas comme le mot “wokisme” qui ne s’emploie pas forcément de la même façon d’une personne à l’autre, sa définition peut être très fluctuante selon qu’on soit de gauche ou de droite…

Comment Le Robert se différencie-t-il du Larousse ?

« Au départ, nos choix de dictionnaires sont le plus souvent hérités de nos familles. On achète le dictionnaire qu’il y avait chez nos parents. » Le petit Larousse va plutôt avoir une approche encyclopédique, il va décrire davantage les choses plutôt que leur aspect linguistique. « Avec Le Robert on va plutôt décrire comment on emploie le mot, donner une étymologie plus précise, des synonymes, les analogies autour du sujet. » Voilà pourquoi avec le petit Robert on va surtout intéresser des spécialistes de la langue, des profs tandis que le Larousse sera plus familial, son édition illustrée est plus connue en a fait un dictionnaire grand public.

Est-ce que l'étymologie prime sur l'usage ?

On va surtout s’intéresser à l’usage mais c’est justement l’intérêt du dictionnaire historique de la langue française qui va offrir un regard sur les évolutions de sens d’un mot, son histoire. Mais dans le dictionnaire classique on va se limiter au sens en usage aujourd’hui.

Comment intégrez-vous les nouvelles graphies d’un mot ?

En effet, il y a aussi des mots dont certaines graphies circulent alors qu’elles ne sont pas conformes à l’étymologie du mot. Dans la mesure où on est un dictionnaire d’usage, si une erreur graphique est très fréquente, on va finir par la mentionner dans la définition du mot. Par exemple, pour le mot “entrepreuneuriat” (qui vient d’entrepreneur) on va tout de même mentionner “entrepreunariat” qui est désormais rentré dans les usages.

Finalement, c'est quoi la relation entretenue entre Le Robert et l'Académie Française ?

Comme nous le rappelle Géraldine Moinard « On n’a pas vraiment de rapport avec l’Académie Française. C’est vraiment un organisme d’État. Le dictionnaire de l’Académie Française est rédigé par des académiciens qui sont des écrivains, des spécialistes de l’écrit avec qui on ne partage pas tout à fait la même vision, ni le même objectif. Le but de l’Académie est plutôt normatif (ils ont d’ailleurs une rubrique sur leur site qui est “dire ne pas dire” qui témoigne de leur vision conservatrice de la langue. Nous, on a une vision d’usage, on n’a aucun tabou sur les choses qu’on doit dire ou ne pas dire, on fait un constat. Alain Rey disait que le dictionnaire est un observateur, pas un conservateur. »

Par exemple, l’Académie a toujours été très réfractaire à la féminisation des noms de métiers. Madame Carrère d’Encausse (la jolie dame de la photo ci-dessous) tient à se faire appeler “le secrétaire perpétuel”. Devant la pression de la société, ils ont toutefois fini par reconnaître cette évolution des usages (après s’y être fermement opposés depuis trente ans).

Crédits photo (CC BY-SA 2.0) : ActuaLitté

Et si vous voulez être hyper fort dans tout ce qui est mot, je ne peux que vous recommander cet ouvrage désormais incontournable et unique, un dico pas comme les autres qui risque de vous en mettre plein les mirettes :