S’il est savamment orchestré, un bluff peut causer une grande victoire, sauver une vie ou en coûter d’autres. Parfois ces bluffs sont réellement assez classes, il n’y a pas d’autres mots et il serait dommage de ne pas les tenter et quand ils prennent, c’est clairement un coup de génie. Et nous allons le voir ici avec quelques exemples de bluffs qui nous dire que parfois l’audace est récompensée.

Le duel perdu d'avance de Mark Twain

Samuel Clemens, ou Mark Twain de son nom de plume, est un auteur américain célèbre pour ses deux héros emblématiques Huckleberry Finn et Tom Sawyer. Lorsqu’il était encore éditeur, Twain est défié en duel par un éditeur concurrent du nom de Mr Laird. À l’époque, les duels étaient encore en vigueur, mais Twain était très mauvais tireur et commençait à paniquer car son opposant, lui, était tout le contraire.

La légende veut qu’un jour, alors que Twain s’entraînait au tir avec son ami Steve Gillis, ce dernier aurait abattu un oiseau d’une seule balle à une distance assez impressionnante au moment même où l’homme de main de Mr Laird passait par là (un peu gros, mais c’est la légende). Le fameux homme de main n’ayant pas clairement vu le tireur, Gillis lui aurait alors expliqué que c’était Twain qui avait fait mouche et que Mr Laird devrait sérieusement commencer à se chier dessus de peur. Laird refusa alors finalement le duel, et c’est dans son autobiographie que Mark Twain raconta la véritable version de ce coup de bluff qui lui aura sauvé la vie.

Crédits photo (Domaine Public) : Napoleon Sarony

L'avion détourné de Sofia

En 1983, un avion qui reliait Sofia à Varna (Bulgarie) a été pris en otage en plein air par une bande de criminels qui demandaient que l’avion soit détourné pour atterrir à Vienne (Autriche). Les pilotes ont d’abord refusé en indiquant qu’ils n’avaient pas assez de carburant pour faire cette distance (ce qui était vrai) et ont finalement prétexté d’accepter sous la menace.

Ils ont alors continué à voler vers Varna tout en arrivant à prévenir l’aéroport de ce qu’il se passait à bord. Le bluff a commencé à se mettre en place : l’électricité de la ville a été pratiquement entièrement coupée pour qu’elle ne soit pas reconnaissable vue du ciel (et que les criminels ne voient pas la mer noire) et deux hommes (un employé de l’aéroport et un policier) qui parlaient allemand se sont fait passer pour des employés de l’aéroport de Vienne lors de l’atterrissage. Des policiers sont alors entrés dans l’avion discrètement par le compartiment à bagages pour intercepter les terroristes (dont un est mort dans l’action) et tout l’équipage s’en est sorti sain et sauf. Un bluff à l’échelle d’une ville, c’est quand même pas mal.

Crédits photo (CC BY-SA 4.0) : Ad Meskens

Le Major William Martin, le héros de guerre qui n'a jamais existé

C’est au cours de la seconde guerre mondiale que les Alliés tentent un coup de bluff pour piéger le Grand Quartier Général Allemand. L’idée est de faire croire qu’ils vont envahir les Balkans et la Sardaigne à la place de la Sicile (leur véritable cible) et l’opération porte le nom d’Opération Mincemeat (chair à pâté). L’idée vient d’un roman de Basil Thomson et consiste grossièrement à laisser les ennemis trouver le cadavre d’un agent important pour qu’ils récupèrent des documents confidentiels erronés sur son corps qui les induisent en erreur.

On pense d’abord à un parachutiste écrasé, mais finalement vient l’idée d’un corps échoué sur la plage. On choisit alors un cadavre, celui d’un trentenaire décédé de pneumonie (dont les poumons sont remplis de liquide pour simuler la noyade) et on lui invente une identité : le Major William Martin vient de « naître ». On lui créé alors une « biographie » : papiers d’identité, fausses lettres d’amour et photo de sa supposée femme dans son portefeuille, historique de son évolution dans l’armée, rappels de factures (on lui avait créé l’identité d’un homme distrait)… Bref, on créé Martin de toutes pièces en laissant suffisamment de traces pour qu’il devienne « réel » si les allemands tentent de vérifier.

On jette ensuite le corps à la mer au large des côtes espagnoles où un habitant est va alerter les autorités de sa découverte. Le plan fonctionne à merveille et les analystes allemands attestent de l’authenticité des documents (ils le sont, c’est seulement leur contenu qui est faux) et quelques temps plus tard les Alliés prennent la Sicile sans réelle résistance puisque les troupes allemandes ont été déplacées pour couvrir les mauvaises zones. Coup de bluff magistral.

Crédits photo (Domaine Public) : Ewen Montagu Team

Le faux positif au typhus

Également pendant la seconde guerre mondiale, deux chercheurs (Eugene Lazowski et Stanislaw Matulewicz) ont accidentellement découvert en Pologne un moyen de créer un faux positif au typhus en injectant des cellules mortes du typhus, inoffensives mais qui faussent les tests. Les nazis étaient terrifiés par cette maladie très présente dans les camps qui pouvait se répandre et infecter les soldats.

Les deux docteurs ont alors inoculé leur « produit » à toute la population de la ville de Rozwadow afin de créer une fausse épidémie de typhus qui a littéralement éloigné les nazis (ils contrôlaient le sang mais pas les symptômes). Le point le plus fou était que les habitants eux-même n’étaient pas conscients du bluff, ils pensaient réellement avoir le typhus. Ce n’est que des années plus tard qu’on découvre l’héroïsme du docteur Lazowski qui déclare dans un documentaire qui lui est consacré « Je n’étais pas capable de me battre avec un fusil ou une épée, mais j’ai trouvé un moyen d’effrayer les Allemands. »

Crédits photo : : DR

Zhuge Liang et le piège de la ville vide

Zhuge Liang était un général autant respecté que craint et c’est cette notoriété qui l’a clairement aidé à faire ce bluff qui est considéré comme une légende aujourd’hui puisqu’on peut douter de sa véracité. Grossièrement, un général adverse et fin stratège dénommé Sima Yi aurait tenté de s’approcher de la ville de Zhuge avec 40 000 soldats et Liang l’aurait « défendue » avec seulement quelques centaines d’hommes.

Voyant son ennemi arriver, Liang savait qu’il était foutu, ses hommes étant hors de la ville; il a alors tenté ce qu’on appelle aujourd’hui « le piège de la ville vide ». Il a fait ouvrir les portes de la ville, balayer la route par des habitants et est allé s’assoir en haut du rempart pour jouer de la cithare accompagné de deux enfants. Sima Yi, complètement décontenancé par la situation et connaissant Liang pour être un adversaire redoutable ce serait alors légitimement demandé pourquoi Liang semblait si calme et ne montrait aucune résistance. Il aurait alors battu en retraite en emmenant son armée avec lui car il sentait clairement un truc louche. Et voilà. Vous comprenez pourquoi on peut penser que c’est plus de l’ordre de la légende que d’un véritable évènement…

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L'éclipse de Christophe Colomb

Christophe Colomb pouvait être une bonne petite raclure quand il le voulait, et ce bluff en est une bonne preuve. Alors qu’il était en Jamaïque avec son équipage depuis six mois suite à un naufrage, il souhaitait que les jamaïcains continuent à nourrir et approvisionner son équipage, ce que ces derniers commençaient à refuser parce que bon, faut pas abuser de l’hospitalité des gens. Plutôt que de s’en aller poliment, Colomb a tenté un bon gros bluff grâce à un calendrier lunaire.

Il savait qu’une éclipse allait avoir lieu le 29 février 1504 et il demanda une rencontre avec le chef de la tribu (appelé le cacique) et lui dit qu’en gros son Dieu était très en colère de la décision des jamaïcains de ne plus les nourrir et qu’il allait montrer son mécontentement en faisant apparaître une lune « enflammée de colère ». Lorsqu’une lune rouge se montra ce soir là ce fut la panique.

C’est le fils de Colomb qui décrivit l’évènement en racontant qu’en hurlant de peur les indigènes leur apportaient des vivres en pagaille et imploraient Colomb de calmer son Dieu. Il se rendit alors dans sa cabine prétextant aller prier (il allait en réalité calculer le temps restant de l’éclipse) et revint quelques minutes avant la fin pour leur dire que le Dieu était calmé. Un bluff certes, mais surtout un coup de pute.

Crédits photo (Domaine Public) : Camille Flammarion

La "Ghost Army" des États Unis

Ce n’est qu’en 1996 lorsque l’on a déclassifié les documents de la « Ghost Army » que le grand public a découvert son agissement pendant la seconde guerre mondiale. Cette unité qui comptait 1100 « soldats » avait une seule et unique mission : tromper l’ennemi avec des « illusions ». Je n’ai pas mis le mot « soldat » entre guillemets innocemment, puisque cette unité était principalement constituée d’artistes, de publicitaires, d’étudiants d’arts, d’acteurs, de décorateurs de films… Vous commencez à voir le projet ? L’idée était d’utiliser des artifices pour effrayer et repousser l’ennemi et pour cela on leur avait donné les moyens.

Ils avaient à disposition des tanks, des avions, des jeeps, et des camions gonflables qu’ils installaient où ils voulaient, ils pouvaient créer de faux aérodromes, des bivouacs de soldats (avec des vêtements qui sèchent) et des formations de tanks en seulement quelques heures. L’illusion était également sonore puisqu’on leur avait donné du matériel de diffusion puissant et des enregistrements de troupes de soldats qui marchaient, de véhicules en marche… Des sons qu’ils pouvaient eux même mixer afin de coller au mieux au contexte de l’utilisation. Bien évidemment tout ce petit manège a été un véritable succès, faisant fuir l’ennemi qui se pensait souvent dépassé en nombre ou défendant un territoire par la simple impression qu’il était réellement occupé.

Crédits photo (Domaine Public) : US Dept of Defense - Dept of the Army

Léo Major, le mec le plus badass du monde

Léo Major était un militaire québécois de la seconde guerre mondiale que l’on a surnommé (après coup évidemment) le « Rambo québécois » et il y a de quoi. Sans parler de la fois où il a capturé une garnison allemande de plus de 90 hommes à lui tout seul (oui, vraiment), Major a réussi également un bon gros coup de bluff lors de la libération de Zwolle (Pays-bas). La ville qui à l’époque comptait près de 50 000 habitants était jalousement gardée par les troupes allemandes qui tuaient presque chaque jour une cinquantaine de soldats canadiens durant les mois de mars et d’avril 1945. Le commandant du régiment demande alors deux volontaires pour aller repérer les forces et les positions de l’ennemi dans la ville avant d’en bombarder les points stratégiques. Major et son ami Willy Arseneault se portent volontaires.

Ils partent dès que le jour est tombé mais rapidement Arseneault se fait tuer après avoir accidentellement été repéré. Major tue deux soldats et décide de continuer la mission seul. Il entre dans la ville et surprend un chauffeur allemand qu’il prend en otage et le somme de le mener à son officier qui se trouve dans un bar. Une fois devant lui il le désarme et lui dit que l’armée canadienne va bombarder la ville au petit matin et qu’il peut éviter des pertes militaires et civiles s’il quitte Zwolle avec ses hommes. Il lui rend son arme et le laisse partir.

Le récit du reste de la nuit de Major semble alors complètement irréel. Il passe la soirée à tirer au fusil et balancer des grenades dans les rues pour faire croire à la présence de l’armée canadienne dans la ville. Il surprend plus d’une dizaine de fois des groupes de huit à dix soldats qu’il capture et escorte hors de la ville pour les remettre aux soldats canadiens puis il retourne en ville continuer de faire le ménage. Il force des serrures de maisons pour se reposer plusieurs fois dans la nuit et tombe également sur le QG de la Gestapo dans lequel il combat huit officiers supérieurs. Il en tue quatre et fait fuir les quatre autres avant de mettre le feu au QG. Il réalise au petit matin que toutes les troupes allemandes ont quitté la ville, pensant que l’armée était réellement dans les rues. Franchement, il avait des couilles Major…

Crédits photo (Domaine Public) : Mielchor

Victor Lustig, qui a vendu la tour Eiffel

Dire que Victor Lustig était un escroc n’est clairement pas un mensonge, lors de son passage aux États-Unis en 1920 il aurait même arnaqué Al Capone. C’est de retour à Paris que l’idée lui vient de vendre la tour Eiffel. Effectivement, l’édifice devait à la base être démontée en 1909 et coûtait énormément en rénovation. Il contacta de grosses entreprises de ferraille et leur donna rendez-vous à l’hôtel Crillon à Paris pour leur expliquer qu’on allait démonter la tour et en vendre les composants. Un homme mord à l’hameçon de cette escroquerie : André Poisson (désolé du jeu de mot). Lustig réussit à lui vendre la tour malgré ses doutes et part rapidement se réfugier à Vienne.

Il surveille la presse et réalise bien vite qu’aucun journal ne parle de son arnaque, Poisson, probablement ridiculisé n’aurait pas osé en avertir la presse. Gourmand, Lustig veut alors retenter le même coup et un mois plus tard tente de vendre à nouveau la tour en refaisant son coup de bluff. Mais le second acheteur sent le coup-fourré et le dénonce à la police, ce qui fait fuir Lustig. Ceci étant dit, le bluff a bien pris la première fois, et la tour Eiffel a bien été « vendue ».

Crédits photo (Domaine Public) : Page from a 1935 Philadelphia newspaper

Vous pouvez aller voir les gens qui ont gagné des guerres avec des astuces improbables, c’est pas mal aussi.

Sources : Kickass Facts, Jebiga, Reddit.