En 2013, comme au cours de toutes les autres années, certains trucs ont fait débat : le mariage gay, la sélection de Benzema en équipe de France ou le bijoutier de Nice. Mais pour d'autres sujets, la parole n'était pas si libre et il eût été bien délicat d'émettre la moindre critique sur les consensus culturels et sportifs de l'année, à moins de vouloir vraiment passer pour un gros con. Ces réussites critiques et souvent commerciales ont mis tout le monde d'accord, du plus pointu des spécialistes au plus béotien des noobs, au prix d'un terrorisme intellectuel parfois inquiétant.

  1. Le dernier Daft Punk
    Il y a 2 ans, le nom de Giorgio Moroder était encore associé à ce que la musique avait fait de pire, le disco dégueulasse qui avait ouvert les portes à l'eurodance de la fin des années 80. Il y a 2 ans, la page Wikipedia de Nile Rodgers comptait 4 lignes et mentionnait surtout le morceau qu'il a fait pour Sheila. Il y a 2 ans, Pharell Williams pouvait faire ses courses tranquille à Walmart. Depuis Random Access Memories, chacun assure qu'il a grandi dans le plus grand respect pour ces artistes, attends, mais ce sont des légendes ces mecs! C'est ça aussi la french touch.
  2. Gravity
    On est malin chez Warner : on invite tous les blogueurs ciné possibles et imaginables à une avant-première du film dans une grosse salle parisienne, on leur dit qu'on retweetera leurs messages pourvu qu'il spécifie #Gravity dedans, et voilà une armée de prophètes trop contents d'être les premiers à dire qu'ils ont vu un truc énorme. La question n'était donc pas : est-ce que ce n'est pas un peu ridicule cette culture du "à la dernière seconde"? mais "est-ce que je ne viens pas de voir un nouveau jalon du film de SF?" Une fois que tout le monde l'aura vu, on aura le droit de relativiser l'apport de ce film à l'Histoire.
  3. Stromae
    Le grand écart parfait pour la Belge qui a le bon goût de se présenter comme le porte-étendard d'un collectif artistique nommé Stromae. On aime les gens qui ont le sens de l'équipe, et on les aime tout autant aux Transmusicales, catalyseurs de stars durables, que sur les plateaux télés les plus regarder, où l'on parle sans complexe du "nouveau Brel". Un belge qui chante comme un type bourré, ça fait un nouveau Brel. Un peu comme un Algérien qui joue au foot avec la semelle, c'est le nouveau Zidane. Qu'est-ce qu'il devient Arno?
  4. Breaking Bad
    Parfait exemple de tyrannie intellectuelle. Alors que s'achevaient les palpitantes aventures de Mr. White, il était non seulement impossible d'émettre la moindre critique sur cette série, mais il était également interdit d'en aimer une autre. Si vous aviez l'outrecuidance de vous réjouir de la diffusion des derniers épisodes de Dexter, on vous rétorquait que cette série est une belle merde comparée à Breaking Bad. Si la série était passée sur TF1, l'enthousiasme aurait peut-être été plus mesuré.
  5. Le Burger King
    Si vous disparaissez assez longtemps, vous passerez forcément pour un être bien plus compétent et bien plus brillant que celui qui aura pris votre place. Si vous disparaissez trois ans, votre ex trouvera que vous étiez bien plus romantique que son nouveau mec, si vous disparaissez 5 ans, on se dira que vous étiez bien plus compétent que François Hollande, on oubliera que la crise s'est déclenchée quand vous étiez président et on se remettra à voter pour vous, si vous disparaissez 15 ans, on oubliera que vous êtes un burger tout con qui ne vaut pas plus qu'un McDo. C'est magique.
  6. Les basketteurs français
    Il y a deux ans, il était interdit de détester les handballeurs français, voilà des gars un peu plus respectables que les footeux, attachés aux vraies valeurs du sport... et puis quelques handballeurs se sont fait poissés pour une sale affaire de paris truqués et les autres ont démonté le plateau de l'Equipe. Du coup, il fallait trouver d'autres héros, le Championnat d'Europe de Basket et le match héroïque contre l'Espagne sont tombés à point nommé : Tony Parker et sa bande deviennent les nouveaux "barjots-costauds-experts" et on oublie que le joueur des Spurs a souvent eu quelques blessures diplomatiques pour sécher les matchs des Bleus. Allez, en 2013, on pardonne tout.
  7. Le Pape François
    Une bonne tête, des origines argentines et surtout la succession inédite d'un pape qui incarnait le conservatisme le plus obscur : si Benoit XVI était mort en fonction, on l'aurait trouvé sympathique et on aurait moins aimé son remplaçant. Ce n'est pas le cas, et Jorge Mario Bergoglio a tout pour lui, y compris une carte de supporter de San Lorenzo, pour ne froisser ni les supporters de Boca, ni ceux de River Plate.
  8. Antoine de Caunes
    Les critiques à l'encontre du Grand Journal version Denisot/Bürki ont été tellement violente qu'il a été facile de dénicher celui qui allait faire consensus à la rentrée. C'était mieux avant? Ok, on va vous chercher le présentateur d'il y a 15 ans... Quoi? Gildas a 78 ans? Ah ouais, ça va être un peu juste... Bon, appelez De Caunes, on fera une émission avec José Garcia, ça fera plaisir a tout le monde. Pour le reste? Le même genre de trucs que l'an dernier, de toute façon on a acheté la concurrence...
  9. La Femme et Fauve
    Les premiers misent sur la renaissance d'un style cold wave et post-punk et citent Taxi Girl et le Velvet Underground comme référence. Coup de bol, les deux chanteurs de ces groupes ont passé l'arme à gauche cette année, impossible de dire que leur musique est à chier. Les seconds vont encore plus loin dans le foutage de gueule artistique et appliquent la recette que Diabologum ou Expérience avait mis au point il y a plus de 15 ans, des morceaux tellement ridicules qu'ils sortent forcément de l'esprit torturé d'un écorché vif. Dans le doute, personne n'osera dire "Fauve, c'est de la merde en boite" mais "j'ai un peu de mal à rentrer dans leur univers... mais euh... c'est intéressant..." Bien joué les gars.
  10. Le Football Allemand
    Non seulement il était indispensable de trouver que la finale germano-germaine de la Ligue des Champions était une excellente nouvelle pour l'humanité, mais il fallait en plus reconnaître les mérites de la Bundesliga depuis plusieurs années. Si vous avez le malheur de dire que vous ne pouviez pas encadrer le Borussia Dortmund depuis le retourné refusé de Laslandes ou juste parce que vous trouviez que Stéphane Chapuisat était un canasson, vous vous exposez aux critiques les plus vives, "ah ça, c'est bien français, tiens! Tu préfères Ronaldo ou Neymar? Les mecs qui passent plus de temps à se coiffer qu'à s’entraîner? La Bundesliga, c'est un MODÈLE, tu entends!!!! T'ES OBLIGE D'AIMER!!!"

Et vous, vous avez été des rebelles cette année ?