De tous les services secrets du monde, aucuns n’ont autant fasciné que la CIA (à part peut-être le KGB). A la différence de son homologue et concurrent russe, la CIA a toujours eu pour l’observateur occidental un statut à part, car elle s’occupait des basses oeuvres, des saloperies secrètes, d’un pays allié, la plus grande démocratie du monde. Elle représente aujourd’hui encore la crasse cachée sous le tapis derrière les discours humanistes. Et quand on voit ne serait-ce qu’un échantillon (puisque tout est secret) des dégueulasseries mises en oeuvre par l’agence, on n’a pas fini d’être surpris.

L'Irangate...

Dans les années 1980, Reagan, opérant son tournant « politique virile », avait popularisé l’idée qu’il existait un axe du mal, comprenant pas mal de pays dont l’Iran. Les Etats-Unis avaient mis en place un embargo envers l’Iran en représailles à la prise d’otages dans l’ambassade américaine de Téhéran qui avait fait suite à la révolution de 1979. Toujours est-il que la CIA a délibérément violé cet embargo avec l’aval évident du gouvernement. Et pas n’importe comment : la CIA a vendu des armes à l’Iran, bien utiles alors que le pays affrontait l’Irak dans la guerre la plus inutile du monde qui ne payait pas les vendeurs états-uniens mais directement les contre-révolutionnaires nicaraguayens, les Contras. L’objectif pour la CIA était de soutenir la rébellion contre le Président Ortega, démocratiquement élu après la révolution sandiniste ayant conduit au renversement du dictateur Somoza, sans se salir directement les mains. Aucune preuve directe de l’implication de Reagan dans l’affaire n’a été apportée, mais celle-ci paraît hautement probable.

... Et le trafic de drogue organisé par la CIA

Le corollaire de cette affaire, c’est qu’elle a facilité le trafic de drogues, et notamment de crack, aux Etats-Unis, par les cartels mexicains. Comme le journaliste Gary Webb l’a montré – une thèse déjà évoquée par John Kerry bien avant lui et confirmée par un rapport du ministre de la Justice américain en 2002 – la CIA avait passé des accords avec les narcotrafiquants mexicains : ceux-ci s’engageaient à financer la contre-révolution nicaraguayenne et à faire transiter des armes américaines jusqu’aux mains des Contras en échange d’une forme d’impunité quant à l’importation de cocaïne aux Etats-Unis. Alors que le gouvernement avait officiellement déclaré la guerre au narcotrafic et que la DEA s’agitait pour intercepter les arrivées de cocaïne sur le sol américain, la CIA, une agence gouvernementale concurrente, permettait aux filières de crack de s’approvisionner et de décimer la population noire et pauvre de Los Angeles. Diffamé, Gary Webb s’est suicidé, mais son travail a été par la suite réhabilité.

Le Watergate

En 1972, le Watergate éclate. Qu’est-ce que c’est le Watergate ? C’est tout simplement la découverte par deux journalistes du Washington Post (informés par une mystérieuse source que l’on nommera Gorge Profonde en hommage à un film porno de l’époque et qui s’avérera être W. Mark Felt, numéro 2 du FBI) d’un scandale d’espionnage politique organisé par le président Nixon en pleine campagne pour sa réélection. Nixon (républicain) se serait en effet appuyé sur les services secrets américains, et notamment la CIA, pour cambrioler l’immeuble du Watergate, siège du Parti démocrate. De fait, le cambrioleur ayant récupéré divers papiers n’était autre qu’un ancien de l’agence. Le cambriolage n’avait pas fait de bruit à l’époque et Nixon, réélu dans un fauteuil, ne s’attendait pas à pareil scandale. Il sera d’ailleurs contenu de démissionner pour éviter d’être démis de ses fonctions par le Congrès.

Le Nigergate...

C’est très américain, ça, de prendre un mot et de rajouter gate à la fin pour rappeler le Watergate. En l’occurrence, le Nigergate est bien plus récent : en 2002, alors que l’administration Bush cherchait par tous les moyens à établir des preuves suffisantes de l’existence d’une menace irakienne pour justifier une intervention militaire coalisée, on découvre des documents attestant que Saddam Hussein a bel et bien cherché à se procurer de l’uranium au Niger. Or, à quoi sert à l’uranium sinon à fabriquer des bombes nucléaires ? Sauf que ces documents sont des faux, qui ont été forgés de toute pièce par les services secrets italiens. Que vient faire la CIA là-dedans ? Eh bien l’agence est concernée à plus d’un titre : tout d’abord parce qu’elle est très probablement impliquée dans l’élaboration du plan mis en oeuvre par les services italiens ; ensuite car il est tout à fait possible que la manoeuvre, grossière, ait été pensée par des hauts gradés de la CIA dans le but de faire éclater un scandale à même de nuire aux faucons et à Dick Cheney, jugés responsables d’une campagne d’épuration interne très politique.

...Et son corollaire, l'affaire Plame-Wilson

Voilà le bouzin : Joseph Wilson, ambassadeur américain en Irak en 2003, s’est empressé de nier l’existence de contrats commerciaux liant le Niger et l’Irak après la divulgation des documents précédemment évoqués par l’administration Bush. Or, cette révélation faisait forcément tache pour le gouvernement américain. Or, très rapidement, la presse divulgue l’identité de l’épouse de Wilson, une dénommée Valérie Plame qui est aussi une agente de la CIA. Mais comment la presse a-t-elle obtenu cette information visant à noyer le poisson en accusant Wilson d’avoir dévoilé des informations confidentielles auxquelles il aurait eu accès par une source privée ? Bah par la CIA, bien sûr, téléguidée directement par le président.

La torture à Guantanamo

Les nombreux rapports accablants dénonçant la torture pratiquée sur des membres supposés d’Al Qaïda dans la base américaine de Guantanamo, en territoire cubain, ont défrayé la chronique médiatique sans jamais déboucher sur une refonte des méthodes d’interrogatoire de la CIA. Il faut dire qu’elle ne se cache pas tant que ça, la CIA, puisqu’elle a édité des manuels pour expliquer comment torturer. Et les méthodes sont récentes, puisqu’elles ont été publiées par Wikileaks. On peut y apprendre, au choix : à passer des contrôles en aéroport (il faut bien présenter et ne pas acheter son billet la veille en liquide), à saboter une entreprise de l’intérieur ou, moins drôle, à pratiquer la torture morale et physique pour obtenir des informations pendant les interrogatoires – voire à maquiller un meurtre en suicide.

L'Opération Paperclip

Au sortir de la guerre de 40, les Américains savaient déjà que leur nouvel ennemi, encore plus dangereux que l’ancien, c’était les Soviétiques. Dans leur idée d’un monde où on peut faire du commerce tranquillou, les Soviétiques étaient bien pires que les nazis. Raison pour laquelle l’OSS (l’ancêtre de la CIA) n’a pas tardé à mettre en place une campagne de recrutement d’anciens dignitaires nazis ayant des compétences particulières dans trois domaines : le nucléaire et la technologie de guerre, l’espionnage et le contre-espionnage. En mettant la main sur ces types, la CIA récupérait leur petit carnet d’adresses et pouvait ainsi faire pression sur d’autres anciens nazis passés sous les radars et les transformer en gentils petits agents. Quoi qu’il en soit, l’Opération Paperclip a permis à des milliers de hauts dignitaires nazis particulièrement dégueulasses de trouver une échappatoire lors de la chute de Hitler et de l’empire japonais. Parmi ceux-là, on retrouve notamment Klaus Barbie, dépêché par les services américains auprès des dictateurs sud-américains, Heinrich Mückter ou encore Shiro Ishii, le responsable de la célèbre unité 731. Des auteurs de crimes contre l’Humanité qui s’en sont tiré tranquillement.

Les écoutes, une spécialité de l'agence

Les scandales impliquant la CIA en faux-nez du gouvernement sont légions aux Etats-Unis. Bien souvent, l’administration au pouvoir se servait de l’agence pour espionner des groupes politiques d’opposition. Un exemple parmi d’autre : en 1969, alors que le mouvement anti-guerre du Vietnam était à son paroxysme, Kissinger a personnellement demandé au directeur de la CIA de placer sur écoute les groupes parlementaires qui réclamaient un moratoire sur la guerre. Ce n’était pas la première fois, ni la dernière.

L'affaire Crypto AG

Crypto AG, c’était une entreprise privée suisse dont le fonds de commerce était de vendre du matériel de haute technologie aux gouvernements afin de remplir des missions d’espionnage et de contrôle. L’entreprise fournissait ainsi de nombreux services secrets, dont le BND allemand, la CIA, ou encore les services iraniens, indiens, pakistanais, libyens, égyptiens, chiliens et argentins. Le problème, c’est que la société était en réalité un faux-nez qui appartenait conjointement à la CIA et au BND. Le matériel que ces deux services utilisait était donc tout à fait sécurisé, alors que le matériel vendu aux autres pays contenait des failles permettant aux vrais propriétaires de l’entreprise – entendez par là les services américains – d’avoir un accès permanent à leurs dossiers secrets. Un scandale immense, d’autant que l’entreprise fournissait des pays alliés des Américains. La Suisse a officiellement déposé plainte en mars 2020, mais l’affaire est passée inaperçue, coronavirus oblige.

Le plan Condor

Je ne suis pas certain qu’il faille entrer dans le détail du plan Condor, une opération gigantesque menée par la CIA sur le territoire latino-américain pour garantir les intérêts états-uniens pendant la Guerre froide. Fidèles à la doctrine Monroe, les Américains considéraient tout le sous-continent comme leur chasse-gardée et redoutaient de voir des communistes prendre le pouvoir et ainsi remettre en cause leur main-mise sur la production et les matières premières. La CIA a donc mis en place un réseau d’une incroyable complexité visant à armer, financer et entraîner les oppositions fascisantes dans tous les pays latino-américains présentant un risque de basculement à gauche. On connaît bien sûr le sort réservé à Allende, mais les dictatures argentine, brésilienne, bolivienne, colombienne ont bénéficié de pareil soutien. Le cas le plus emblématique est sans doute celui de Manuel Noriega, dirigeant réel du Panama, trafiquant de drogue et agent de la CIA, finalement renversé par les Etats-Unis après avoir un peu trop tiré sur la corde.

Des gens sympas.