Parfois, mentir, c’est nécessaire. Souvent, c’est mal. A l’occasion, c’est neutre. Dans tous les cas, ça change le fil de la réalité, surtout quand le menteur a de l’écho et que le mensonge résonne en conséquence. L’Histoire, écrite par les vainqueurs, est une longue succession de mensonges et de menteurs, de petits arrangements avec la vérité et de contre-vérités affirmées avec tant d’assurance qu’elles finissent par devenir vraies.

Marignan morne plaine

1515 Marignan. Tout le monde connaît cette date sans forcément savoir à quoi elle correspond : une victoire militaire, sans doute. C’est d’ailleurs comme ça que la bataille a été présentée à l’opinion publique française
: une victoire militaire cocorico contre les soldats suisses enrôlés par le duc de Milan. Sauf que cette victoire est en réalité une défaite. L’armée française s’en prenait plein la gueule par les Suisses à Marignan qui avaient la situation bien en main quand l’armée vénitienne est arrivée en renfort, prenant les troupes du duc de Milan à revers. Mais les Suisses tinrent le choc malgré les deux fronts et quittèrent la zone une fois persuadés que les Français avaient eu leur compte et ne pourraient pas les poursuivre. Après la défaite de Pavie, cela faisait désordre pour le jeune roi tout juste monté sur le trône. Premier exercice de com’ politique : on décrivit cette défaite comme une victoire et aujourd’hui encore le récit tient.

Le mouvement romantique s'est bâti sur un hoax

Pionnier du mouvement romantique, James Macpherson a eu une révélation sur la beauté fanée des mondes engloutis en tombant sur une série de poèmes d’Ossian datés du III° siècle qu’il s’empresse de traduire et de publier. Le mythe gaélique de Fingal séduit aussitôt l’Europe et les poèmes accompagnent aussitôt les plus grands artistes et militaires du monde : Napoléon ne sort jamais sans son exemplaire des poèmes, Thomas Jefferson apprend le gaélique pour les lire dans leur version originale, Byron, Walter Scott, Yeats s’en inspirent, les musiciens Mendelssohn ou Schubert citent les poèmes comme une source d’inspiration et tout le mouvement romantique se bâtit là-dessus. Sauf que ces poèmes ne sont pas du III° siècle, qu’Ossian n’existe pas et que Macpherson s’est juste contenté d’inventer tout ça pour faire parler de lui.

La fausse attaque polonaise à la frontière allemande en 1939

L’Opération Himmler a servi de prétexte à l’Allemagne nazie pour envahir la Pologne et ainsi donner le coup d’envoi de la Seconde Guerre mondiale. Le plan était simple : Himmler s’est vu mandaté par Hitler pour simuler une attaque polonaise sur une station de radio allemande, prendre les employés en otage et diffuser un message en polonais invitant les habitants de la Silésie à prendre les armes contre Hitler. Les troupes allemandes ont laissé douze morts issus des camps de concentration et déguisés en Polonais sur place pour fournir des coupables à la presse et aux autorités. On les appelait des « conserves ».

Il ne restait plus à Hitler qu’à prétendre dès le lendemain qu’il s’agissait d’une attaque polonaise pour déclarer la guerre au pays le plus malchanceux de l’Histoire.

Jules César et ses victoires militaires

César, dictateur et général imperator abattu par son fils adoptif qui portait un nom de chien, a bâti sa puissance sur le récit légendaire de ses campagnes victorieuses. Comme personne n’avait pu assister à ses faits d’armes, il n’a rien trouvé de mieux que de les raconter par le menu et avec une certaine exagération dans ses essais. Sa campagne des Gaules ainsi magnifiée par sa propre plume, il pouvait tranquillement revenir à Rome recevoir le triomphe qui lui permit d’accéder au pouvoir.

L'Algérie française, la conquête et le gros mensonge

Dans les premières décennies de la colonisation algérienne, déjà, les Algériens souhaitaient qu’on leur foute la paix. Dans une société encore largement régie par les croyances tribales et populaires, un groupe de marabouts revendiquant leurs pouvoirs magiques appelaient les populations à se rebeller contre l’occupant. Pour contrer ce début de soulèvement, Napoléon III décida d’employer la manière forte : il s’arrangea pour qu’un bruit se répande au sein de la colonie selon laquelle les Français avaient envoyé sur le territoire algérien leur sorcier le plus aguerri.

C’est Jean-Eugène Robert-Houdin, un type avec beaucoup trop de prénoms mais qui maîtrisait la magie, qui endossa le rôle du sorcier, multipliant les numéros de prestidigitation qui impressionnèrent beaucoup le public. Lequel se calma rapidement pour ne pas s’attirer les mauvaises grâces du grand sorcier.

La stratégie n’a pas marché cent ans plus tard.

Quand Juan Peron tombait à cause d'un faux scientifique nazi

Les scientifiques nazis sont légions, on le sait, et on les reconnaît facilement à leur propension à avoir rejoint le camp occidental à l’issue de la guerre. En 1949, Peron, dont l’attitude pendant la Seconde guerre mondiale était plus qu’ambiguë envers le camp de l’Axe, voulait lui aussi pouvoir bénéficier des lumières scientifiques de l’Allemagne nazie pour se bâtir un arsenal nucléaire. C’est alors qu’il fit appel à Ronald W. Richter, un expert en énergie nucléaire exfiltré dans les décombres de Berlin. Mais Richter était un imposteur autrichien qui avait travaillé six mois à la maintenance dans une centrale et n’avait aucune connaissance technique. Après s’être offert un an de peinardise grâce à la naïveté de Peron, Richter lui annonça qu’il avait réussi l’exploit de mettre en place une procédure de fission froide. Truc de fou : Peron s’empressa de l’annoncer à tous les vents et Richter dut réaliser une démonstration. Il essaya de faire illusion, mais ça ne prit pas et l’armée arrêta le faux scientifique avant de renverser Peron parce qu’il avait dépensé son argent n’importe comment.

Les procès de Moscou

Les purges staliniennes sont largement documentées et il est probablement inutile d’en faire le récit détaillé ici. Mais ce qui est intéressant, avec ces procès qui ont eu lieu entre 1936 et 1938, c’est qu’en faisant le ménage (entendez par là en zigouillant) parmi ses supposés opposants, Staline a énormément affaibli le commandement militaire et politique soviétique qui lui aurait probablement ouvert les yeux sur les vraies intentions d’Hitler. Les séances d’autocritique achevée dans des pelotons d’exécution ont indirectement coûté la vie à des dizaines de milliers de soviétiques pris de court par l’invasion nazie.

Mitterrand et l'affaire de l'Observatoire

En 1959, Mitterrand souffre d’un gros déficit de popularité. Celui qui mettra en 1965 le Général de Gaulle en ballottage lors de la présidentielle est dans la merde. Il décide de monter un gros coup pour essayer de faire remonter sa cote : un attentat bidon perpétré contre lui. L’attentat, qui se déroule avenue de l’Observatoire, est officiellement commandité par l’extrême-droite, mais les investigations prouvent que Mitterrand et Pesquet, cerveau de l’attentat, s’étaient rencontrés à plusieurs reprises avant l’événement. Tant l’un comme l’autre avaient besoin de revaloriser leur prestige et les deux hommes se seraient mis d’accord pour monter l’événement de toutes pièces.

Malgré tout, Mitterrand gagnera en notoriété grâce à ce vrai-faux attentat qui l’imposera durablement comme le leader de la gauche et le portera finalement jusqu’à la présidence de la république.

L'affaire Dreyfus

A priori, si vous avez été attentif en cours d’histoire de Seconde, vous savez à peu près de quoi il en retourne. Un capitaine, Alfred Dreyfus, a le malheur d’être à la fois alsacien et juif. On l’accuse d’intelligence avec l’ennemi suite à la découverte d’une lettre dont on prétend qu’il est l’auteur. Faux et usage de faux : des faux montés de toute pièce pour désigner un coupable de trahison à la vindicte populaire. L’intervention de Zola, « ils en ont parlé », jugements et déjugements, Dreyfus finira par être réhabilité bien tard.

Mais ce qui est intéressant, c’est de voir que les mensonges initiaux de l’état-major ont eu d’immenses conséquences dans l’opinion publique. Non contents de cultiver l’antisémitisme et l’anti-germanisme, ils ont aussi, par l’opposition qu’ils ont suscité, contribué à polariser et façonner l’opinion publique en deux camps dans une société démocratique encore balbutiante.

Robert Ripley, aux origines des fake news

Touche-à-tout magnifique, Ripley, né en 1890, a réussi le tour de force de devenir l’une des personnalités les plus prisées des Etats-Unis. Fondateur de Believe it or not ! (croyez-le ou pas), une franchise ultra-lucrative couvrant la presse écrite, télévisée et radiophonique ainsi que plein de publications littéraires, il y racontait des milliers d’histoires pas toutes vérifiables mélangeant la réalité et le mensonge. Anecdotes, récits de voyage, narrations de faits divers à la Pierre Bellemarre, Ripley a passionné l’Amérique pendant un demi-siècle sur la seule base du grand n’importe quoi. Parmi les rencontres qu’il décrit dans ses publications, on trouve des cyclopes ou des golfeurs dépourvus de bras. Mais la vérité n’avait pas tellement d’importance au regard de l’entertainment. Résultat, l’empire Ripley continue, encore aujourd’hui, de rapporter un pognon absolument considérable – et la méthode a un retentissement particulier dans la période actuelle.

Ton nez s’allonge.

Sources : Marianne, Ranker, Sciences Humaines, Histoire-image