La psychologie sociale c’est un truc qui nous passionne autant qu’il nous effraie. Entre les expériences qui ont mal tourné, les biais cognitifs les plus ébouriffants et les expériences les plus extrêmes menées au nom de la science, on comprend pourquoi. Aujourd’hui on se penche sur les expériences de groupes les plus cheloues, voire scandaleuses.

Le délire eugéniste des Jardins Ungemach à Strasbourg

Si je vous dis que dans un quartier nord de Strasbourg, une expérience plus que douteuse a été menée durant 60 ans (jusque dans les années 80) visant à offrir une maison confortable pour un loyer modique à des familles, vous vous dites, « ça alors c’est sympa ».

Si maintenant je vous dis qu’en échange de cette offre, les familles devaient s’engager à procréer (5 enfants au minimum) et que tous les membres de leur famille devaient être encore en vie (privilégiant ainsi la qualité de leurs gènes), vous vous dites « ah ouais grave chelou le plan ».

Si en plus je vous dis que les familles ayant perdu un enfant (faisant baisser leur progéniture en dessous de 5 items) étaient expulsées, que les femmes n’avaient pas le droit de travailler et que les candidats de cette terrible expérience n’ont jamais su qu’ils étaient utilisés à leur insu afin de créer une prétendue « élite », vous vous dites « mazette dis moi pas que c’est pas vrai ».

Eh bah si c’est vrai, c’étaient les Jardins Ungemach dont toute l’histoire est résumée dans ce documentaire de Vincent Gaullier et Jean-Jacques Lonni (sur Histoire TV).

L'étude de Tuskegee sur la syphilis où l'on n'a "oublié" de prévenir les sujets

En Alabama de 1932 à 1972, une étude a été menée afin de connaître l’évolution de la maladie quand elle n’est pas traitée. OK. Pour cela, on a choisi un ensemble de sujets atteints de la syphillis et on leur a proposé un repas chaud tous les jours et des transports gratuits jusqu’à la clinique où était réalisée l’expérience. Or dans cette affaire, non seulement on n’a pas explicitement donné aux malades l’objectif de l’expérience, mais en plus on leur a dit que ça durerait 6 mois alors que ça a duré 40 ans. Ah oui et j’oubliais, ce sont 600 hommes afro-américains qui ont été floués dans l’histoire ce qui prouve en plus le caractère ouvertement raciste de l’expérience. L’affaire a fuité au début des années 70 jusqu’aux excuses officielles de Bill Clinton en 1997…

Crédits photo (Domaine Public) : Department of Health, Education, and Welfare. Public Health Service. Health Services and Mental Health Administration. Center for Disease Control. Venereal Disease Branch (1970 - 1973).

Le projet secret MK-ULTRA mené par la CIA pour créer des assassins sur commande (histoire qui a inspiré Stranger Things)

Stranger Things n’est pas trop le genre de série qu’on imagine inspirée de faits réels, et pourtant si. Dans le cadre de la Guerre froide durant les années 50, la CIA a mené plusieurs expérimentations réunies dans un même projet secret (et illégal), MK-ULTRA, avec pour objectif de manipuler des gens par l’utilisation de psychotropes comme le LSD. Parmi les expériences, certaines ont été réellement menées sur des enfants (YAY) et il est même fort probable qu’une des victimes ait été Theodore Kaczynski, futur Unabomber dont on peut mieux comprendre l’instabilité mentale.

La célèbre expérience de Milgram pour voir si les gens sont chauds patates pour torturer d'autres gens

On la connait tous mais on ne se lasse pas d’en reparler. Après l’abomination de l’Holocauste, on a cherché à comprendre un peu mieux comment fonctionnait le cerveau humain et sa soumission à l’obéissance. Dans ce contexte, Stanley Milgram a mené une expérience hautement cocasse en 1963 : en prétextant une autre expérience, il a demandé à un panel de cobayes de poser des questions à un autre cobaye (acteur complice de Milgram) et de lui envoyer des décharges électriques s’il se trompait dans les réponses. Les chocs électriques étaient donc faux, mais le cobaye n’en savait rien. Résultat des courses : les cobayes ont obéi aux commandes de l’expérimentateur, alors même que l’homme attaché criait de douleur. Tordue, cette affaire.

Crédits photo (CC BY-SA 3.0) : Paulr

Proposer à un groupe de schizophrènes d'arrêter son traitement d'un coup, juste pour voir ce que ça fait

On ne peut pas dire que l’affaire Tony LaMadrid ait eu bonne presse. Pour rappel, en 1983, une université californienne a eu la bonne idée d’engager plusieurs schizophrènes et de leur proposer d’arrêter leur traitement d’un coup. Bon alors bien sûr, dans l’idée c’était pour aider le monde médical à mieux comprendre le fonctionnement de la maladie mais le problème c’est que ça a entraîné de graves rechutes et le suicide de certains patients, dont le fameux Antonio « Tony » LaMadrid qui s’est donné la mort 6 ans après l’expérience.

Garder au lit un groupe de gens pendant 370 jours

Mais où va-t-on chercher tout ça me direz-vous ? Eh bien quand on veut en apprendre plus sur l’apesanteur, il faut se donner les moyens. C’est pourquoi l’ancien cosmonaute Boris Morukov a mis en place cette expérience sur un ensemble de participants qui n’avaient ni le droit de s’asseoir ni bien sûr celui de se lever. Bon alors on va pas se mentir, ça s’est pas super bien passé, les participants ont très vite rencontré des problèmes digestifs, osseux, cardiaques et musculaires. Bref, notre corps n’est pas fait pour rester inactif.

Enfermer volontairement 14 personnes dans une grotte ou l'expérience du Deep Time

Expérience chelou, flippante, et pourtant nécéssaire. Au moins les participants étaient conscients qu’ils participaient à une expérience. Il y a quelques mois on a enfermé durant 40 jours dans une grotte sous terre 14 participants afin de voir comment ils se démerderaient dans le noir, sans repère temporel, comment communiquer et rythmer sa journée. Bonne nouvelle, les résultats sont plutôt positifs.

L'expérience qui explique pourquoi on est tous accro à nos horoscopes

« Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même. Vous avez certes des points faibles dans votre personnalité, mais vous savez généralement les compenser. Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas encore utilisé à votre avantage. À l’extérieur vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à l’intérieur vous tendez à être préoccupé et pas très sûr de vous-même. Parfois vous vous demandez sérieusement si vous avez pris la bonne décision ou fait ce qu’il fallait. Vous préférez une certaine dose de changement et de variété, et devenez insatisfait si on vous entoure de restrictions et de limitations. Vous vous flattez d’être un esprit indépendant ; et vous n’acceptez l’opinion d’autrui que dûment démontrée. Vous avez trouvé qu’il était maladroit de se révéler trop facilement aux autres. Par moment vous êtes très extraverti, bavard et sociable, tandis qu’à d’autres moments vous êtes introverti, circonspect, et réservé. Certaines de vos aspirations tendent à être assez irréalistes. »

En vrai est-ce que ça vous décrit pas trop ce texte ? Halte là, vous êtes victime de l’effet Barnum. Mis en lumière en 1948 par Bertram Forer, ce psychologue a mené l’expérience suivante : faire passer un test de personnalité à ses élèves, jeter les résultats sans les lire et offrir le texte ci-dessus à chaque élève en guise de réponse à leur test de personnalité. Chacun devait ensuite évaluer à quel point ce texte était pertinent par rapport à leur personnalité la note allant de 0 à 5. Eh bien la moyenne était de 4,2.

C’est l’effet Barnum. Plus on est flatté par un discours, plus on a envie d’y croire et les « astrologues » l’ont bien compris.

Foutre un violoniste star dans le métro sans que personne n'en ait rien à carrer

Perso je suis fan de cette expérience de génie. En 2007, le Washington Post a mené une expérience tout à fait surprenante sur notre perception de la beauté. Pour cela, on demanda à Joshua Bell, un violoniste à la renommée internationale de se poser dans une station de métro et de jouer trois quart d’heures les plus grands (et difficiles) morceaux du répertoire avec son modeste stradivarius datant de 1713. Une performance normalement réservée à des lieux extrêmement privilégiés donc. EH bien personne n’a rien calculé. Sur 45 minutes, seulement 7 personnes se sont vite fait arrêtées. L’expérience a ainsi montré que pour percevoir la beauté, il nous fallait avant tout un contexte et que les plus beaux morceaux de violons se sont pas perçus à la hauteur de leur perfection dans une station de métro qui pue la pisse. Bravo au Washington Post qui a remporté un prix Pullitzer en 2008 pour cette belle expérience.

Quand la SNCF joue avec notre cerveau

On change pas mal de registre avec cette expérience moins effrayantes que toutes celles qu’on a pu voir jusque là mais qui permet encore une fois de saisir le caractère improbable des expériences menées sur des groupes. Pas besoin d’aller bien loin puisque les techniques de nudging (censées orienter positivement les sujets, no + judging) sont aussi utilisées par la SNCF qui s’est rendue compte que les panneaux « sens interdit » attiraient toujours les gens (cette irrépressible envie de braver l’interdit). Pour contrer ce phénomène, ces mêmes panneaux ont été remplacés par des panneaux « sans issue » et le résultat est indiscutable.

J’ai mené une expérience sociale pendant ce top, c’était que vous le lisiez.

Source : Encyclotron