On aime à penser la France comme un pays de sagacité qui a fait son trou dans l’histoire au sein des grandes nations par sa capacité hors du commun à user de ses petites cellules grises pour changer le monde en mieux. Mais c’est une image d’Épinal : la France a aussi vu son histoire jalonnée de petits ratages en tout genre et de presciences à côté de la plaque dont les conséquences se ressentent encore aujourd’hui. On a pris notre part aux décisions politiques les plus stupides de l’Histoire. On n’est pas toujours des flèches, que voulez-vous ?

"Prenez le Sud de la Syrie et le Koweït, on va prendre le Liban !"

Avez-vous déjà entendu parler des accords Sykes-Picot ? Probablement, puisqu’ils sont au cœur et à l’origine de tous les problèmes qu’on a avec le Moyen-Orient depuis 100 ans. En gros et pour faire simple : en 1916, pendant que Lawrence d’Arabie promettait au roi Fayçal qu’il régnerait sur le royaume arabe de Syrie contre sa coopération dans la lutte contre les Ottomans et les Allemands dans la région, les Anglais et les Français se mettaient d’accord pour se partager toute la zone une fois acté le démantèlement de l’empire ottoman. Le partage se dessinait (à très gros traits) comme suit : aux Français le Nord de l’actuelle Syrie, la province de Mossoul, la Cilicie et le Liban ; aux Anglais l’Irak sans Mossoul, le Koweït, la Jordanie et le sud de la Syrie.

Et qu’est-ce qu’il y a en territoire anglais qu’il n’y a pas ou très peu en territoire français ? Du pétrole. Les Français ont donc négocié un accord secret pour récupérer des territoires sans pétrole. Et le pire, c’est que ces accords sont désormais à l’origine d’un ressentiment maousse des Arabes contre les Européens, accusés (même si ça se discute historiquement en raison de l’urgence propre à la guerre) de les avoir trahis.

"Et si on vendait la Louisiane ?"

En 1803, la France vend la Louisiane aux Etats-Unis contre 80 millions de francs (soit l’équivalent de 334 millions de dollars aujourd’hui). Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la Louisiane, à l’époque, ne correspondait pas à la Louisiane aujourd’hui : elle représentait 22% du territoire américain, une bande centrale allant de la Louisiane à l’Alberta au Canada. Pour Bonaparte, qui n’est pas encore empereur, l’objectif est double : d’une part éviter que les Anglais, dont la flotte est bien plus puissante que celle des Français, ne mettent la main sur La Nouvelle Orléans, d’où part tout le contrôle du fret sur le Mississippi ; de l’autre faire un geste envers les Américains afin de les convaincre de rester en dehors des affrontements européens entre la France et l’Angleterre. Bref, une bonne affaire. Sauf que Napoléon ne fait pas ratifier la vente par l’Assemblée contrairement à ce qu’exigeait la constitution et qu’il se sert de cette manne pour financer son sacre et ses campagnes guerrières. Les Etats-Unis, eux, se retrouvent en conflit larvé avec l’Espagne quant à la définition des frontières américaines une fois la vente actée. On se retrouve donc avec une vente absurde économiquement, qui a servi à financer des guerres absurdes et un sacre absurde, le tout générant de nouveaux conflits qui ont participé de l’équilibre des forces mondiales au début du XX°.

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"Les Allemands ne passeront jamais par les Ardennes !"

En 1919, le maréchal Pétain propose à Clémenceau, alors ministre de la guerre, d’assurer l’inviolabilité du territoire français par la construction d’une fortification à l’Est. Après bien des débats à l’Assemblée nationale, le chantier commence finalement en 1929 pour se terminer en 1939. En juin 40, les Allemands sont à Paris. Vingt ans de discussions, moins d’un mois pour la contourner. Inviolable, qu’on vous dit. Au final, on a investi 5 milliards de francs entre 1930 et 1936 pour fabriquer une ligne inutile. En parité de pouvoir d’achat, cela représente environ 2,3 milliards d’euros aujourd’hui – une des erreurs les plus chères de l’Histoire. On pourrait ajouter à cela les heures de débat à la chambre pour voter la construction de la ligne avec les salaires correspondants des députés. Toute cette énergie aurait pu être dépensée autrement, notamment dans l’élaboration d’une stratégie viable pour contrer l’inévitable attaque allemande.

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14-18 : Joffre et l'offensive à outrance

Au début de la guerre de 14, le chef d’état-major général de l’armée française est Joseph Joffre. Et Joffre a sa petite idée sur la manière de gagner la guerre en quelques jours : il faut attaquer que l’infanterie attaque en permanence avec un soutien de l’artillerie pour faire plier les Allemands et leur faire ravaler leur superbe après la défaite de 1870. Mais l’infanterie française est formée pour le combat au corps à corps et pour avancer coûte que coûte quelle que soit l’intensité du feu ennemi. Cette orientation va donc être extrêmement coûteuse en vies humaines et surtout priver la France de l’utilisation de son artillerie lourde, très en pointe à l’époque. Si l’on ajoute à ça l’entêtement de Joffre à penser que le théâtre des combats se situera sur la frontière alsacienne, on ne s’en sort pas parce que les Allemands vont attaquer massivement par la Belgique. Et voilà comment Français et Allemands se sont retrouvés dans une guerre de position interminable dont l’horreur maintes fois décrite a précipité tout le début du siècle dans le chaos.

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L'expédition au canal de Suez

Le 26 juillet 1956, le président Nasser nationalise le canal de Suez, jusqu’alors administré par un consortium anglo-français. Inutile de préciser l’importance stratégique du canal pour le transport du pétrole dans la région ; les Français veulent intervenir pour récupérer leur bien et persuadent les Anglais et les Israéliens (qui ont un intérêt stratégique à ce que le canal ne tombe pas dans les mains des panarabistes) de monter une expédition. Mais les Anglais ne sont pas chauds : ils savent bien que les Etats-Unis et l’URSS verront d’un mauvais œil cette ingérence dans un territoire sensible. Israël envahit l’Est du canal et les Français l’Ouest. Mais malgré cette victoire militaire, les deux corps expéditionnaires sont tenus de battre en retraite à la demande des Etats-Unis qui craignent de voir l’URSS se mêler de l’affaire et prêter main forte à Nasser, faisant basculer l’Egypte définitivement dans le giron soviétique.

La débâcle actée, les problèmes arrivent : l’Egypte expulse tous ses Juifs, l’Europe est confrontée à une pénurie pétrolière et la France est frappée d’une grave crise économique que la guerre d’Algérie n’arrange pas. La France entre en inflation et l’expédition au canal de Suez accélère le retour aux affaires de de Gaulle.

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"Le froid ? Pas grave !"

C’est le paradoxe d’une campagne gagnée et perdue à la fois. La campagne de Russie de Napoléon est un exemple de victoire militaire : les Français marchent sur Moscou et la fameuse Bérézina est une victoire en réalité. Mais entre autres erreurs stratégiques qui ont poussé l’armée française à quitter la Russie la queue entre les jambes, il y a le fait d’avoir sous-estimé l’hiver russe. À compter de novembre 1812, les températures atteignent moins 20 degrés, le sol est enneigé et les soldats, mal équipés, souffrent. Les chevaux meurent les uns après les autres. L’armée continue d’avancer même si plusieurs commentateurs décrivent des scènes d’anthropophagie. Les privations sont monstrueuses. Finalement, la victoire stratégique de la Bérézina signera la fin de l’aventure : en marche vers Vilnius, la Grande Armée est prise dans les pentes glacées et perd son artillerie, ses fourgons, ses bagages. Fin 1812, les derniers soldats sont expulsés du territoire. Une historique fausse bonne idée, cette campagne de Russie.

L’importance de ce fiasco est immense : premier vrai revers pour Napoléon, la campagne de Russie a coûté un pognon de dingue comme dirait l’autre et laisse la France exsangue en même temps qu’elle a montré au monde que la Grande Armée n’était pas invincible. D’autant mois, d’ailleurs, que 200.000 soldats sont morts et à peu près le même nombre a été fait prisonnier. La campagne de Russie préfigure très clairement de la chute de l’Empire et donc d’un remodelage du visage de l’Europe.

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"Le sacre de Bokassa ? On va le financer !"

Le 2 décembre 1977, l’ancien soldat français et nouveau président à vie de Centrafrique Jean-Bedel Bokassa décide de se faire sacrer empereur de Centrafrique en multipliant les références à Napoléon dans un faste grotesque : le sacre coûte la bagatelle d’un quart du PIB du pays. Malgré toutes les exactions commises par le clan Bokassa, il faut chercher de l’argent ailleurs. Bokassa, bon petit soldat de la françafrique, se tourne naturellement vers l’ancien colonisateur pour obtenir des financements. Et il les trouve : la France sort sa caisse noire et autorise Bokassa à utiliser l’aide d’Etat versée pour le développement du pays – le complément est versé par Kadhafi. Journalistes présents sur place et tout le toutim : c’est même le service cinématographique de l’armée française qui est envoyé pour immortaliser le moment. De l’argent jeté par les fenêtres : la mégalomanie de Bokassa n’a pas de limite et l’empereur veut se doter d’une bombe atomique. Giscard le lâche et le régime ne va pas tarder à chuter, la faute notamment à l’intervention de mercenaires français. Ensuite, le pays ne cessera d’être en proie aux tourments et jusqu’à aujourd’hui : en finançant le sacre, la France a clairement fait montre de son manque total d’intérêt pour la population centrafricaine et de sa considération purement stratégique pour les intérêts du pays. De quoi expliquer aussi pourquoi aujourd’hui ce pays en proie à la guerre civile est devenu un état morcelé et incontrôlable.

Crédits photo (CC BY-SA 3.0) : Bokassa_with_Ceausescu.jpg: unknown, image comes from the National Archives

La vente d'Alstom à General Electrics

En 2014, le groupe Alstom va être racheté. Deux concurrents sont sur le coup : l’Américain General Electrics et l’Allemand Siemens. Presque tous les observateurs espèrent voir aboutir la fusion Siemens/Alstom pour fabriquer un géant européen de l’énergie. On passe les détails mais toujours est-il que c’est GE qui remporte la mise avec l’aval du ministre de l’Economie d’alors, Emmanuel Macron – de fait, Alstom est une entreprise stratégique et en partie publique. Quelques jours plus tard, les dirigeants d’Alstom obtiennent un accord pour le règlement d’un différend juridique aux Etats-Unis concernant une affaire de corruption en Indonésie. Et la vente à GE rapporte des bonus immenses à tous les hauts dirigeants de l’entreprise. 6 ans plus tard et alors que la Commission européenne a ouvert une enquête sur ce rachat au même titre, en France, que le Parquet national financier, cette fusion à marche forcée a grandement affaibli les relations commerciales franco-germaniques en Europe tout en faisant planer le doute sur le bien-fondé de la décision entérinée par Emmanuel Macron à une époque où les affaires pourrissent en permanence le climat politique.

L’erreur est humaine, hein.