Dans toutes les cultures, on retrouve des constantes dans le rapport des civilisations aux couleurs : d’une part la distinction entre les couleurs chaudes et les couleurs froides, de l’autre la reconnaissance d’au moins trois couleurs distinctes disposant de leur propre nom, à savoir le rouge, le noir et le blanc. L’apparition progressive des autres couleurs dans le langage ne signifie pas que les gens ne les voyaient pas : simplement, ils associaient ces nuances à d’autres couleurs déjà nommées. Le rose était un rouge, l’orange un jaune, le bleu un blanc ou un noir… Les apparitions successives des couleurs sur le spectre ont donné naissance à des genres de superstitions et d’associations symboliques dont la géométrie a été variable à travers l’espace et le temps.

Le bleu

Tout commence au XIX° siècle : un universitaire anglais décide d’analyser consciencieusement toutes les occurrences de couleurs dans l’Odyssée d’Homère. Et il se rend compte que la couleur noire est citée 200 fois, la couleur blanche 100 fois, la couleur rouge une cinquantaine de fois et la couleur bleue… 0 fois. En élargissant sa recherche, il constate que tous les textes antiques sont similaires. Pas de bleu : le ciel est blanc et la mer rouge.

Les études ont été ensuite continuées et la conclusion est formelle. Le bleu n’était pas perçu comme une couleur avant le Moyen-âge en occident. Seule l’Egypte antique faisait parfois mention de la couleur bleue – où elle était associée à la chance. De manière générale, seuls les couleurs noire rouge et blanche étaient communes jusqu’au Moyen-âge – et ce dans quasiment toutes les cultures, même si on estime que la première production de bleu, dérivée du lapis-lazuli, date de -6000 en Chine antique.

Ensuite, la couleur bleue a changé de symbolique. Au départ, elle était associée dans l’Europe chrétienne au voile de la vierge Marie, avant de devenir un attribut royal puis de s’imposer comme la couleur préférée des Européens, associée à l’eau, au ciel et au calme.

Le rose

L’association du rose au féminin est une invention récente, datant des années 1930 et dont on ne situe pas précisément l’origine. Celle-ci a sans doute à voir, dans son expansion universelle, avec la poupée Barbie – et non, on ne rigole pas. Parce qu’avant ça, le rose était plutôt une couleur associée à la force et à la masculinité en peinture, et ce particulièrement au XVI° siècle où les portraits de rois et de guerriers drapés de rose sont légions.

Crédits photo (Domaine Public) : Attributed to Jacob Bunel

Le vert

Jusqu’au milieu du Moyen-âge, le vert était une couleur mal vue en Occident, associée au poison et à la perversité – par ailleurs, on ne pouvait obtenir le vert par mélange, car c’était interdit. Les premiers feux de l’islam associent le vert à la nature alors même que la symbolique naturelle était cantonnée aux 4 éléments en occident jusqu’au XVIII° siècle. L’instabilité du vert, difficile à obtenir et nécessitant des composants chimiques dangereux (notamment l’arsenic) en a également fait par la suite une couleur associée au hasard et à la malchance – déconseillée sur scène. Par la suite, on associer la couleur à l’espoir, la nature et la permissivité – par opposition au rouge des feux tricolores.

Le rouge

Le rouge est une couleur que presque toutes les civilisations ont nommé, avec le blanc et le noir. Elle a toujours eu une ambivalence symbolique, étant à la fois associée aux honneurs – les manteaux d’hermine, les tapis rouges, les robes des cardinaux – et au danger – les feux tricolores aujourd’hui, le sang et le feu autrefois. Le symbole change à partir de la Révolution, quand le rouge commence à être associé au peuple et aux insurgés – d’abord de manière péjorative mais, leur victoire aidant, de manière positive. Le rouge devient couleur synonyme de liberté et non plus de destruction.

Le violet

Bien avant de devenir la couleur des hipsters, le violet a eu mauvaise presse. Jusqu’au XVIII° siècle, cette couleur était surnommée le demi-noir : elle devait être portée en cas de deuil et s’associait volontiers à la pénitence et à la tristesse. Un visage violacé s’associe à la colère, à la perte de maîtrise – et l’analogie sémantique avec le mot violence est claire. L’invention accidentelle de la couleur mauve, dérivée du violet, en 1860, permet de détacher le violet de son voisin chromatique le noir et d’épouser des valeurs plus positives : ce sera la couleur des suffragettes et des militantes féministes.

Le jaune

Le jaune est un champ chromatique que l’Histoire a divisé en deux ensembles : le jaune doré, associé de tout temps à la gloire et au luxe et le jaune tout court qui, pendant longtemps, avait une valeur péjorative. La bile jaune était la bile de colère au Moyen-âge quand, en France, on imposait aux Juifs le port d’un signe distinctif jaune, lui aussi, comme le sera l’étoile plusieurs siècles plus tard. Rire jaune, syndicalisme jaune… Couleur de la maladie, de la trahison et de la malhonnêteté, le jaune a eu longtemps mauvaise presse. L’influence asiatique sur l’art au XIX° redonne pourtant au jaune ses lettres de noblesse sous le pinceau des impressionnistes qui utilisent abondamment la couleur, notamment pour peindre les robes de femme. Aujourd’hui, le jaune est souvent considéré comme la couleur du soleil et donc de l’été, de la légèreté.

Crédits photo (Domaine Public) : Max Kurzweil

L'orange

Ce n’est qu’au XVI° siècle que les Français commencent à parler de la couleur orange ; auparavant, elle était simplement associée à ses voisines le jaune, le beige, le rouge. Associée au safran, la couleur était pourtant dès les textes antiques celle de l’été, de la chaleur et des fêtes dionysiaques. Au Moyen-âge, cette association dionysiaque porte préjudice aux roux que l’on imagine volontiers pactisant avec le diable. Les rousses sont des sorcières et Judas est représenté en homme roux. Ce n’est que récemment que cette couleur est redevenue positive en occident – tandis que les hindouistes l’ont toujours considérée comme une couleur sacrée.

A la cool, les couleurs.

Sources : Ipefdakar, Ancient-Origins, Wikipedia