Les journalistes sont au cœur de bien des polémiques et débats, depuis des années, et d’autant plus au moment du mouvement des gilets jaunes. Ceux qui se font régulièrement traiter de « merdias » ou de « journalopes » traînent derrière eux les casseroles d’idées reçues. Oui, je me fais avocat du diable, et je vous propose de remettre quelques petites choses dans leur contexte et de faire un petit tour d’horizon de la profession.

Non, la carte de presse ne donne pas accès à tout gratuitement

Avec leur carte de presse, les journalistes encartés peuvent entrer gratuitement dans la grande majorité des musées. En revanche, pour accéder gratuitement aux salles de cinéma, il faut une pièce spéciale : la carte verte, desservie par la Fédération Nationale de la Presse Française. De la même façon, il faut posséder la carte rouge pour accéder au théâtre gratuitement, et une bleue, dans le monde la musique. Bref : NON, la carte de presse n’est pas un sésame pour vivre sa best life culturelle sans débourser un centime.

Elle ne permet pas non plus des réductions sur tout et n'importe quoi

On ne dit pas que ça n’a jamais été vrai, on dit simplement qu’aujourd’hui, ce n’est pas (ou plus) le cas. Essayez donc de demander un rabais dans une boutique de fringues sous présentation de votre carte de presse. Au mieux, vous repartirez avec un sourire gêné. En revanche, il peut arriver, dans certains domaines comme la mode, que les journalistes profitent de prix cassés lors de « ventes presse ».

D'ailleurs, la carte de presse n'est pas obligatoire

Oui, la carte de presse, c’est classe. Ça fait toujours son petit effet. Pourtant, on peut être journaliste sans la détenir. En fait, ses critères d’obtention sont assez stricts et étroits, et plusieurs « journalistes » se voient refuser le document. Certains ne se sentent pas légitimes pour la demander, ne touchent pas suffisamment d’argent, d’autres sont des blogueurs qui ne travaillent pas pour des médias,… La liste de ceux qui sont journalistes sans (pouvoir) être encartés est longue. En France, dans tous les cas, l’exercice du journalisme est libre et non réservé aux détenteurs de la carte de presse.

Les journalistes professionnels bénéficient d'un abattement fiscal

Un vrai avantage, pour le coup ! L’abattement fiscal concerne les journalistes soumis à la convention collective de la profession. La déduction d’impôts peut s’élever à 7 650 €, notamment pour couvrir divers frais liés à l’exercice de la profession (communication téléphonique, repas, déplacements,…). Pour en bénéficier, ils doivent pouvoir justifier que la majorité de leurs revenus provient du journalisme, qu’ils soient titulaires de la carte de presse ou non. Ceux qui gagnent plus de 93 510 € bruts par an ne sont pas éligibles à ce dispositif.

Non, les journalistes ne roulent pas tous sur l'or

Pas tous. C’est comme pour beaucoup de professions, en fait. Il y en a des riches, des très riches, des moins riches, et pas mal de pas riches du tout. Il existe des grilles salariales négociées par les syndicats, mais dans les faits, elles ne sont pas appliquées dans tous les médias. D’un secteur et d’un statut à l’autre, les salaires mensuels nets peuvent aller de 1567 € à 4190 € (et même plus pour certains journalistes reconnus).

... Le journalisme est même un milieu précaire

Loin de nos rêves d’enfants, tous les journalistes qui le souhaitent ne finissent pas grands reporters ou présentateurs de JT. Non. Au contraire, les places sont chères, et nombreux sont ceux qui, jusqu’à tard dans la vie, enchaînent les petits contrats, les CDD, les piges, ou les horaires à rallonge. L’âge moyen en CDD est de 30 ans, 40 ans chez les pigistes et 46 ans pour les CDI. À Paris, un quart des journalistes encartés sont à la pige ou en CDD.

Plus de la moitié des journalistes de France sont en Île-de-France

Si vous êtes en école de journalisme (ou si vous y êtes passés) vous avez sûrement entendu qu’il faut forcément passer par Paris pour commencer. Ce n’est pas totalement vrai, ce n’est pas totalement faux. Tout dépend du secteur qui vous attire. Pour travailler dans la presse régionale, la case capitale n’est pas nécessaire. Pour les grands médias nationaux, ayant généralement leur siège à Paris ou en banlieue, elle est presque inévitable. Pour cette raison, plus de 55% des journalistes français sont en Île-de-France.

La majorité des médias appartiennent à des actionnaires privés ou à l'Etat

C’est un fait. Les grands médias sont souvent la propriété de milliardaires ou grands groupes industriels. Investir dans les médias se fait souvent pour gagner en influence. En revanche, il ne faut pas voir le mal partout : cela ne veut pas dire que les propriétaires contrôlent tout le contenu publié. Ça existe, mais c’est loin d’être le cas pour toutes les rédactions. Nombreux sont ceux qui conservent leur indépendance éditoriale. Prenons l’exemple du Monde : lorsque l’un de ses actionnaires, Pierre Bergé, a publiquement soutenu Emmanuel Macron en 2017, le journal s’est désolidarisé. (Source.) À l’inverse, Vincent Bolloré, lui, a assumé garder le contrôle éditorial de ses titres. (Source)

Les journalistes peuvent proposer leurs sujets

On entend souvent dire que les journalistes n’écrivent que les sujets qu’on leur impose. Une nouvelle fois, ce n’est pas totalement comme ça que les choses se passent. Les journalistes qui travaillent pour un média sont, en effet, soumis à une ligne éditoriale plus ou moins stricte, qu’ils acceptent en signant leur contrat. Forcément, les articles qu’ils traiteront devront lui être fidèles. En revanche, un journaliste peut proposer ses sujets. Certes, il faut qu’ils soient validés par la hiérarchie pour être réalisés et publiés, mais il peut être force de proposition. C’est notamment pour cela qu’ont lieu des conférences de rédaction. Au fil du temps, des renouvellements d’équipe ou des époques, les lignes éditos peuvent changer. Si un journaliste ne s’y retrouve plus, il peut démissionner tout en touchant des indemnités de licenciement : c’est la clause de conscience, glissée dans le contrat de travail des journalistes.

Un journaliste ne peut jamais être objectif

Il faut vraiment arrêter avec ce truc. L’objectivité n’existe pas en journalisme. À partir du moment même où l’on adhère à une ligne éditoriale, où on choisit un angle plutôt qu’un autre : on fait jouer une part de subjectivité. La vie est subjective. Les choix éditoriaux, les tournures de phrases, les témoins interviewés,… Tout n’est que subjectivité. Le journalisme objectif n’est qu’un vieux fantasme. On peut être factuel, sans être objectif à 100%.

A ce sujet je vous invite à jeter un oeil à cette interview de Salomé Saqué qui s’exprime très bien sur ce sujet :

Bon après, pour ces journalistes qui posent des questions débiles à des stars, on ne peut plus rien faire, hein. On peut se faire avocat du diable, mais pas de toutes les truffes de France, quand même.

Sources : Le Monde, Arrêt sur images, CCIJP