La situation en Iran fait la Une des journaux depuis plusieurs jours maintenant. Les Iraniennes et Iraniens sont dans les rues, la répression est terrible, et le bilan humain ne cesse de s’alourdir. Vous n’avez peut-être pas pris le temps de vous pencher sur le sujet, les tensions vous ont peut-être paru floues, ou l’actualité trop triste pour vous y intéresser. Vous avez raison, ce qui se passe là-bas est un vrai crève-cœur. En revanche, il est important de savoir. De lire. De comprendre. Si vous le voulez bien, on va essayer de résumer la situation ensemble. On y va ?

Le mouvement a commencé avec la mort de Mahsa Amini

Le 13 septembre 2022, Mahsa Amini, une jeune Kurde de 22 ans, rend visite à sa famille à Téhéran. Elle est arrêtée par la police des mœurs pour un hijab que les officiers ne jugent pas suffisamment couvrant. Battue avant d’être emmenée, elle sombre dans le coma et meurt de ses blessures, trois jours plus tard à l’hôpital. Le scanner de son crâne révèle une « fracture osseuse, une hémorragie et un œdème cérébral », compatibles avec un passage à tabac.

Pour Slate ,Nima Naghibi, professeure à l’Université métropolitaine de Toronto, explique que « La mort de Mahsa a galvanisé toute une population de jeunes –surtout des femmes– qui sont frustrées de voir leur jeunesse, leur vie, leur potentiel, être violemment réprimés par le gouvernement iranien. ». Mahsa Amini devient le visage d’une lutte contre la répression brutale des femmes, et plus largement de la jeunesse, en Iran.

... Dans un pays où les tensions augmentent depuis des mois

Par où commencer ? Les Iraniens eux-mêmes comparent la situation à « une marmite couverte, en train de bouillir. Quand la vapeur commence à s’épaissir, le régime soulève très légèrement le couvercle afin qu’elle s’évacue et que ça ne déborde pas. ». La mort de Mahsa, c’est le point d’ébullition. Avant ça, différents éléments sont venus alimenter le feu : l’élection de Raïssi en juin 2021, un ultraconservateur, contribuant à réduire la liberté (déjà bien maigre) des Iraniennes ; la carte blanche donnée à la « police des mœurs » ; un contexte économique particulièrement grave (avec un taux de chômage des jeunes à 27% et une inflation annuelle qui dépasse les 40%) ; un verrouillage total des systèmes politiques et judiciaires ;, etc. Toutes ces tensions, conjuguées à l’humiliation subie par les femmes et au drame de Mahsa, mènent à une explosion de la colère.

Qu'est-ce que c'est, cette "police des moeurs" ?

En Iran, les règles vestimentaires (surtout pour les femmes) sont strictes. Les personnes ne se soumettant pas à ces règles sont suspectées de « mauvaises mœurs ». Dans cette idée, la République islamique d’Iran a créé, en 2005, cette « police de la moralité », chargée de faire appliquer les obligations, notamment celle relative au bon port du hijab. Ils vérifient également que les femmes ne portent pas de pantalons trop moulants, de couleurs trop vives, de vernis à ongles ou de manches courtes. Si une femme est arrêtée, au mieux, elle est contrainte de signer un papier, l’engageant à respecter la loi. Au pire, elle est placée en détention, violentée, voire… Frappée à mort, comme Mahsa.

La révolte n'est pas seulement féministe, et les revendications sont plurielles

Depuis une loi de 1983, les femmes de la République islamique d’Iran ont obligation de se couvrir les cheveux et le cou dans l’espace public. La première revendication est l’abrogation de cette loi. Plus largement, les manifestants attendent une séparation entre les pouvoirs religieux et politiques. Cette révolte a une dimension féministe essentielle, mais ce n’est pas tout : selon certains spécialistes, dont Chowra Makaremi, anthropologue qui s’est exprimée pour France Info, la mort de Mahsa décrit également une forme de racisme et de discrimination de classe. Pour elle, « Son arrestation est liée au fait que, non seulement, elle était issue de la classe populaire, mais en plus, elle était kurde. ». La révolte se retourne aussi contre « un régime théocratique de domination sociale et économique », dans lequel l’ethnie et la classe sociale comptent.

...Et ce ne sont pas les premières manifestations pour le droit des femmes dans le pays

1979, la République islamique d’Iran n’est pas encore instaurée, et la liberté des femmes, déjà écrasée. L’ayatollah Khomeini considère que cette liberté est le principal obstacle de son projet politique. Il rend alors le voile islamique obligatoire sur les lieux de travail, et le foulard dans les lieux publics. La femme perd tous les droits qui lui avaient été octroyés jusque-là, notamment la loi de protection de la famille, la garde des enfants en cas de divorce, le droit de voyager sans l’accord du mari (lui, autorisé à épouser 4 femmes à la fois), … Le 8 mars (journée internationale des droits de la femme) de la même année, la première manifestation contre ces lois se tient à Téhéran. Les contestataires s’unissent sous un même message « ni foulard, ni coups de poing », protestant contre un voile, symbole d’une ségrégation complexe. Elles jugent que ces obligations ont pour seul but de réprimer leur identité, de les uniformiser par un vêtement de couleur sombre, et de transformer les femmes en l’ombre d’elles-mêmes.

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Les manifestants adoptent plusieurs symboles forts

D’abord, un cri de ralliement : en 1979, on scandait « ni foulard ni coups de poing ! ». En 2022, on scande « Femme, vie, liberté ». Un slogan qui marque un tournant dans l’histoire, affirmant « oui, la femme a le droit de vivre et d’être libre ». C’est la prise de conscience de tout un peuple, qui ne s’exprime plus par la négation. « Jin, Jiyan, Azadî » en kurde, « Women, Life, Freedom » en anglais » : Femme. Vie. Liberté.

Ensuite, les hijabs brûlent. Au cours des manifestations, les femmes se regroupent autour de feu pour danser, cheveux aux vents, et jeter dans les flammes leurs foulards. Un symbole fort d’émancipation, comme dans la vidéo en dessous, capturée à Sari, ville du Nord de l’Iran. Bruler son voile, c’est manifester son rejet du régime théocratique iranien. C’est un acte qui nous paraît simplement métaphorique, alors qu’en réalité… Cela peut être puni de la peine de mort en Iran.

Enfin, les femmes se coupent les cheveux. Que ce soit des militantes au milieu des manifs ou des artistes sur scène, plusieurs femmes saisissent leurs mèches et les coupent grossièrement aux ciseaux. En Iran, les cheveux sont le signe d’une beauté qui doit être cachée. Les couper, c’est décider soit même de sa notion de la beauté, et de son corps. Dans certaines cultures orientales, se couper les cheveux est un symbole de deuil ou de protestation. C’est aussi cette définition qu’épouse le geste : le deuil des Iraniennes mortes pour un code vestimentaire, et la colère de celles qui vont au combat pour la liberté.

De son côté, le régime réprime mortellement le soulèvement du peuple

La répression des manifestations contre le pouvoir religieux d’Iran fait de nouveaux morts chaque jour. Lundi 3 octobre, soit moins d’une vingtaine de jours après le début du mouvement, le bilan faisait déjà état de 92 morts, tués dans la répression. Le régime coupe aussi Internet à intervalles réguliers pour bloquer les communications, interpelle préventivement des citoyens, place en prison celles et ceux qu’il soupçonne d’avoir manifesté, et tue les gens dans la rue. En 1979, le gouvernement a déjà montré qu’il n’avait pas peur des effusions de sang. Les Iraniennes et les Iraniens montrent, eux, qu’ils n’ont pas peur de risquer leurs vies pour la liberté.

Hadis Nafaji, autre visage de la lutte

Parmi les victimes de la répression : Hadis Najafi, 20 ans à peine, abattue mercredi 21 septembre dans la ville de Karaj, à l’ouest de Téhéran. Six balles dans la tête, le cou et la poitrine, tirées par la police sur la jeune femme, à l’aide d’un « fusil de chasse à billes de plomb ». Elle est de celles qui sont mortes pour avoir défilé la tête nue. Tout comme Mahsa Amini, Hadis Najafi est devenue un visage et symbole fort de cette lutte.

En revanche, méfiance : des images détournées sont diffusées sur les réseaux sociaux. On y voit une femme blonde, de dos, attachant ses cheveux en chignon, en pleine manifestation. La vidéo a été faussement attribuée à la jeune femme et relayée comme l’un de ses derniers instants de vie. C’est une erreur : malgré la ressemblance physique, la femme de la vidéo n’est pas Hadis.

Les manifestations trouvent écho dans tout le pays...

… Et dans toutes les classes sociales, contrairement à d’autres insurrections ! Dans les rues de Téhéran, Machhad ou encore Saqez : on ne trouve pas seulement des femmes, on ne trouve pas seulement la classe populaire, on ne trouve pas seulement des féministes. Il y a des hommes, des femmes, des adolescents, des personnes issues de toutes les classes sociales, de nombreuses professions. C’est tout le pays qui s’insurge et qui proteste.

... Et dans le monde entier...

Paris, Toronto, Rome, Sydney, Tokyo,… Au total, ce sont plus de 150 villes du monde qui ont montré leur soutien aux Iraniennes, samedi 1er octobre, en descendant dans les rues à leur tour.

... L'Allemagne réclame même des sanctions européennes

Du côté de l’Europe, Berlin, demande à ce que des sanctions européennes soient prises contre le gouvernement iranien. Le 29 septembre, Annalena Baerbock, ministre allemande des Affaires étrangères, écrit sur Twitter « Au sein de l’UE, je fais tout mon possible pour mettre en place des sanctions contre ceux qui en Iran battent les femmes à mort et abattent les manifestants au nom de la religion ». Le pays demande notamment à ce que les « morts soient élucidées » afin que les autorités iraniennes cessent leur répression violente et sanguinaire.

Selon certains spécialistes, ces tensions pourraient déboucher sur une vraie révolution

Pour France Info, Chowra Makaremi (anthropologue spécialiste de l’Iran) explique que la situation présente un « grand potentiel révolutionnaire ». Même s’il est trop tôt pour l’affirmer, plusieurs facteurs comme la diversité sociale des opposants, l’unité des manifestants, l’ampleur mondiale du mouvement, les différentes phases de l’insurrection qui est notamment en train de basculer vers des mouvements de grève, ou encore les revendications claires qui portent atteinte à la légitimité du pouvoir, laissent penser que la bascule vers une révolution pourrait opérer avec le temps.

Sources : L’Heure du Monde, Le Monde, France Info, Slate, l’INA