Il y a les gagnants et les perdants du confinement. Désormais bénéficiaires d’une présence bienveillante quotidienne, tes animaux de compagnie sont des gagnants (voir notre top sur les pensées des chats pendant le confinement) ; on ne peut pas en dire de même de tes caleçons propres, de tes chaussettes et de ta père de bottines que tu ne portes plus jamais puisque tu n’es plus jamais amené à sortir no d’ailleurs à te montrer en société. La solitude des objets abandonnés – une mélancolie que n’aurait pas renié Francis Ponge.

Ton pass de transports

Sa complainte : « ô toi qui autrefois tous les jours me bippais, qui vérifiait toujours si j’étais dans ta poche, qui premier jour du mois me donnais de l’argent, qu’ai-je fait aujourd’hui pour être ainsi zappé, on ne peut vraiment plus faire confiance aux gens, à croire que tout à coup je suis devenu moche. »

Ça prend au tripes.

Tes chaussures

Leur complainte : « Seuls à deux, seuls quand même ; plus rien à envelopper, pas de pied, de « je t’aime », pas de coup de cirage, de lacets double nœud, notre cuir prend de l’âge et on s’ennuie un peu. »

Putain, je chiale.

Ton vélo

Sa complainte : « Comment en sommes-nous arrivés là ? Jamais ne me chevauche – pneus et moral à plat. Des marauds m’ont délié loin de mon cavalier. Quand sentirai-je encore l’appel de la descente ? Pédales et selle absentes. »

J’ai la boule au ventre.

Ton shampooing

Sa complainte : « Douche tous les deux jours et shampoing que nenni ! Face à pareille crasse, alors qu’on est banni, les secondes tic tac liquident plus que l’eau, le shampoing au placard, le gel douche en solo, on se sent impuissant face aux cheveux cassants. Ce n’est que mon avis. Que sebum, sebum la vie. »

Ça ne manque pas de panache.

Ton ordinateur de bureau

Sa complainte : « Ses doigts me manquent. Ses doigts… Pleins de sueur, furieux, frileux ou décidés, sur mes touches clonk et clank me touchent, habiles, adroits… De programmes j’étais habité, pensées algorithmiques, ça fuse, on voit du monde, résultats deux secondes, exe. et traitement de texte, toute la télématique… Aujourd’hui il fait noir et c’est avec un autre, sur d’autres onglets privés qu’il va incognito, sur un autre écran les yeux rivés le soir, à défaut de vrai sexe et en mauvais apôtre regarder du porno. »

J’achète.

Ton ascenseur

Sa complainte : « A peine refait à neuf. A peine retapé (il est passé le 9), je pouvais accueillir jusqu’à 17 personnes. Et à tous les étages, la clochette qui sonne : « premier étage », « deuxième » une vois robotique. Je n’emmenais certes pas jusqu’en Amérique mais du haut vers le bas et du bas vers le haut j’étais de tout le l’immeuble l’unique Trivago et on comptait sur moi. A présent je voyage à vide pour entretenir le système, mes boutons forcés de jaunir sans plus jamais dire « je t’aime ». »

Putain je vais descendre pour lui faire un gros câlin.

Tes chemises

Leur complainte : « Quand c’est dimanche tous les jours, plus jamais on ne s’endimanche. Allez donc expliquer cela qui au col ou qui aux deux manches qui pendent, le coton las, froissée de n’être sur la planche. Ça attend perché au placard quand tous les t-shirts font la fête ; faut bien dire qu’on est les tricards et pendouiller à la défaite. »

Je vais enfiler deux chemises en même temps.

Ton rasoir

Sa complainte : « En ce temps-là ça vrombissait. Moustache en biseau, barbe égale, une fois j’ai fait des rouflaquettes. N’allez pas croire que je m’inquiète, le chômage durera un temps. Ça reprendra, mais quand, qui sait ? On n’va pas faire les fiers à bras. Y’en a du travail dans le poil. »

C’est décidé, je me rase la tête.

Tes clés

Sa complainte : « On s’entrechoque, chic, à chaque pas avant qu’une main à tâtons vienne nous enquiquiner. Pas d’échec, c’est pas du chiqué, le pêne finira par tourner. Enfin tout ça c’était avant de finir face au paravent dans le dépose-trucs de l’entrée au milieu de choses empêtrées. »

Je vais leur chanter une chanson ce soir pour les endormir.

Ton manteau

Sa complainte : « Bien sûr, monsieur, j’ai l’habitude. Je sais qu’après un hiver rude quand enfin viennent les beaux jours on ne me dit plus jamais bonjour. Qu’on m’accrochera quelque part me laissant seul à mon cafard jusqu’à ce que le froid revienne. Dieu que cette est est chienne. Mais tout cela c’est le métier, normal d’hiberner en été… Alors que ce confinement est autrement plus déprimant. »

Ok je mets un manteau sur mes deux couches de chemises.

Je suis déchiré d’amour.