Drôle d’animal que l’homo sapiens. La parole, dont il est doué, l’incite à toutes les audaces. Par la parole, il interagit avec ses semblables, se livre à eux comme ils se livrent à lui. Drôle d’animal, l’homo sapiens, qui n’hésite pas à se lier par l’amour comme par la haine. Suivons-le tandis qu’il grandit.

3 ans : Caca !

Ca y est : le jeune Croc-Magnon s’empare tout à fait de la parole. Le monde s’ouvre devant lui : grâce à elle, il va pouvoir exprimer ses désirs, ses joies, ses craintes, ses faiblesses, ses peurs ; grâce à la parole, il va entrer en monde, bien après y être venu. Ecoutons-le :

« Caca maman caca ! Caca papa caca ! Caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca caca. »

6 ans : C'est çui qui dit qui y est !

L’âge de raison n’est pas loin, et avec lui la découverte de cette altérité paradoxale qui fait le sel de l’existence. Exemple d’échange communicationnel entre deux homo sapiens âgé de 6 à 7 ans :

– Espèce de caca !

– C’est çui qui dit qui y est !

– Même pas !

– C’est toi le gros caca.

15 ans : Suce-boules

A 15 ans, l’homo sapiens sapiens a déjà fait siens les concepts de normativité sociale. Son idéal adolescent de différenciation est en réalité une peur de ne pas se conformer. Plutôt que de prendre le risque d’être vu en train de faire acte de complaisance avec l’autorité, il préfère prendre la posture de la rébellion ; celui qui, au contraire, ferait le choix de la connivence, serait alors mal perçu par le groupe. Exemple :

« T’es qu’un gros suce-boules, tu réponds aux questions du prof, t’es rien qu’un gros suceurs de queues de profs de merde, t’es un suce-boules, elles étaient bonnes les boules du prof ? »

20 ans : Gros puceau, va !

20 ans : le bel âge. A l’aube de sa vie d’adulte, le jeune homme de Croc-Magnon est encore plein d’espérances. Lui qui, quelques années, quelques mois auparavant, a expérimenté son tout premier rapport sexuel, n’a qu’une idée en tête : reproduire cette expérience qui marque son passage définitif de l’autre côté. Dès lors, ceux qui l’enquiquinent ne peuvent le faire que contrits par la tristesse d’appartenir, encore et toujours, à l’autre bord, celui de l’enfance.

« – T’arrête de nous faire chier avec tes discours à la con ?

– C’est ça, parle, gros puceau de mes deux de merde. »

30 ans : Gros con

Dans la force de l’âge, l’homo sapiens est au faîte de sa forme physique. Peut-être a-t-il déjà fondé une famille ; peut-être n’y songe-t-il même pas. Quoiqu’il en soit, ses choix et ses désirs sont arrêtés et, s’il peut encore revenir dessus – n’est-il pas jeune, encore ? – il jouit de ce sentiment de liberté et de puissance que seul quelqu’un qui dirige sa propre vie peut connaître. Dès lors, ceux qui ne penseraient pas comme lui lui semblent faire fausse route. Il les en informe en toute innocence :

« Alors l’autre connard, le gros con-là, il va me faire chier longtemps avec sa bagnole de mes couilles ? »

40 ans : Mal baisé

Regard rétrospectif ; la jeunesse serait-elle derrière soi ? Que reste-t-il, devant ? Ce que l’on appellera l’âge mûr, puis la vieillesse. Pour autant, cette vigueur, ce souffle vital, comment l’expliquer ? Le phoenix se ride un peu, mais la force est encore là. Il faut profiter de cet élan tant qu’il bat, tant qu’il vit encore ; il faut quitter notre jeunesse dans une danse inoubliable, il faut :

« Quoi qu’est-ce que t’as la mal baisée, là ? Tu vas m’emmerder longtemps avec tes critiques et ton serre-tête à la con ? Retire-toi ton balai du cul, connasse. »

50 ans : Ménopausée de merde

Ce picotement au cœur… C’est la mélancolie. Les enfants sont grands, désormais ; plus grands que les points accumulés sur sa carte de retraite. On ne refera pas ce qui a déjà été fait. Pour autant, il reste beaucoup de choses à vivre. Différemment, sans doute, mais à vivre quand même. Ces changements biologiques sont suffisamment inquiétants pour qu’ils réveillent, parfois, la nuit. Mais c’est avec bienveillance que l’Homme regarde ses semblables : chacun à son échelle n’est-il pas appelé à vivre les mêmes expériences ?

« Mais tu nous fais chier avec tes histoires de ménopausées de merde, t’es sinistre, t’es sinistre ma vieille, t’es même pas vieille que t’es déjà devenue conne. »

60 ans : Sale assisté

Il a sonné, l’âge des bilans. L’homo sapiens se retourne et sait que la vie écoulée dans son dos sera sa vie. Le reste est encore à faire ; le reste est encore à vivre, mais on ne le changera plus. Nourrit-il des regrets ? Certes non. Il regarde l’avenir avec la certitude du juste ; peut-être ressenti-il, parfois, comme un pincement à voir d’autres générations suivre d’autres chemins. Peut-être est-il inquiet qu’ils financent sa retraite.

« Putains de jeunes de merde. On a bossé, nous et vous ne voulez rien foutre. Vous êtes vraiment des sales assistés. »

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Il n'a pas souffert, promis

70 ans : Sale morveux

A l’écoute du mot « hospice », l’homo sapiens a un mouvement de recul. Et si c’était là l’avenir ? Et si c’était là, son avenir ! Où est donc passée toute sa force ? Il se battra, il expliquera à ceux qui ne peuvent pas savoir, qui ne peuvent pas comprendre ce que signifie de vieillir ; il luttera pacifiquement pour sa dignité.

« Bande de sales morveux de merde, vous avez la moindre idée de ce que c’est l’arthrite ? Et bah laissez-moi la place dans le bus, connards. »

80 ans : Ingrat

Quelle joie de voir ses enfants affronter à leur tour les tourments de la vie ! Quelle joie de penser qu’ils perpétueront, à l’échelle de leur avenir, un nom, un génome, tout ce qui vous réunissait. Quelle joie de penser que l’on ne s’éteint pas tout à fait, de penser qu’en leurs coeurs, on se perpétuera.

« Bande d’ingrats de mes deux qui pensez aux tableaux pendant que je suis en train de CREVER ! JE SUIS EN TRAIN DE CREVER ET TOUT LE MONDE S’EN FOUT ! INGRATS ! JEAN-FOUTRES ! »

90 ans : Caca !

Le cycle de la vie.

CACA !