Bingo Marco, tu reviens d’Erasmus avec une nouvelle conquête sous le bras, (appelons-la Gudrun) et découvre les joies de la romance sous un prisme exotique. Comme tu es bien trop occupé.e à te la raconter en balançant des petits mots en anglais l’air de rien dans toute conversation (arrête ça s’il te plaît) et à te projeter avec quatre gosses multilingues, on est là pour te faire redescendre un peu.

Gudrun et toi-même serez parfois fille parfois garçon, ça évitera le pullulement de il/elle dans ce top.

Au début, chaque texto échangé avec Gudrun équivaudra à trois heures de recherches intensives sur Linguee.

Pas encore hyper hyper à l’aise en anglais, tu tiendras quand même à briller par écrit, et apparemment Google Trad ne retranscrit pas super la profondeur de ta pensée ni la subtilité de tes blagues. Du coup tu vas passer au bas mot la moitié de tes journées dans les tréfonds des forums Word Reference pour impressionner Gudrun, avant de ne pas comprendre sa réponse et de partir inspirer et expirer très fort dans un sac à papier pour te calmer.

Au début vous parlerez anglais ensemble. Après, ça se complique.

Au bout de quelques mois vous atteindrez votre top niveau : la pratique quotidienne de l’anglais vous aura bien dérouillés et vous serez pas peu fiers de vos prouesses en langage rosbif. Mais comme ce n’est la langue maternelle de personne ici présent, vous aurez très vite la flemme de chercher vos mots sur Internet et commencerez à les remplacer progressivement par leurs équivalents dans ta langue ou la sienne dans un baragouin dégueulasse qui laissera les véritables anglophones perplexes.

Présenter Gudrun à tes parents sera encore plus gênant que prévu.

Tes parents auront décidé non pas de tenir une conversation normale et faisant sens, quitte à te demander de traduire pour eux, mais juste de lancer de manière complètement impromptue environ toutes les demi-heures une phrase en anglais du type « I like my dog very much » ou « The weather is not nice » à laquelle personne ne saura quoi répondre.

En France, il ne pourra pas survivre sans toi une seconde.

Si tu envisages de laisser Gudrun seul dans la queue du supermarché pendant que tu repars vite fait chercher un truc dans les rayons, il est probable que quand tu reviennes ladite queue fasse vingt mètres de plus et que tu le retrouves en PLS sous le caddie après que la caissière lui a demandé s’il détenait la carte Carrefour.

Toute activité culturelle deviendra un poil compliqué.

Il faudra se restreindre aux films anglophones, oublier le théâtre, vérifier avant chaque expo qu’ils traduisent tous leurs petits descriptifs d’œuvre d’art en anglais sous peine de mourir de fatigue en se demandant comment traduire nature morte et acrylique. Mais Gudrun sera probablement aux anges à la simple idée de prendre en photo la Tour Eiffel, donc à part pour toi, tout va bien.

Tu feras très vite une sélection de tes potes en fonction de leur niveau d'anglais.

C’est pas que tu n’aimes plus les autres, mais les réunions de famille sont assez dures à vivre pour que tous vos samedis soirs se transforment aussi en sessions de traduction simultanée. Surtout que, soyons honnêtes, toi et tes petits copains avez tendance, dans la joie des retrouvailles, à oublier de parler anglais, laissant Gudrun seule à regarder le mur et songer au suicide.

Elle deviendra la BFF de votre pote qui voulait se remettre à l'anglais.

Individu qui pourrait au premier abord passer pour un cadeau des dieux d’utilité publique dans une soirée à majorité francophone, jusqu’à ce que vous réalisiez que cet enfoiré ne fait que répéter assidument le conf call qu’il tiendra à ses clients japonais la semaine prochaine. Et ce, en boucle.

Tu te promettras d'apprendre sa langue, mais il s'avère que cette dernière est plus compliquée qu'il n'y paraît.

Preuve de ta motivation initiale, tu as acheté trois bouquins, un mp3 spécial pour y télécharger tous tes cours audio et souscrit à un abonnement d’un an à Babbel. Mais ça fait maintenant dix ans que vous êtes ensemble et Gudrun applaudit encore quand tu parviens fièrement à prononcer « je m’appelle » et « comment ça va » dans son dialecte.

Vous réaliserez que votre champ lexical est très limité dans certains domaines, et c'est pénible.

Faire la popote sans savoir comment dire passoire, planche à découper ou tiroir c’est épuisant, et personne ne te jugera si tu finis par hurler et jeter Gudrun hors de la cuisine.

Quand elle s'essayera au français, il pourra y avoir des ratés.

En témoigne la serveuse interloquée à qui Gudrun aura lancé un « Roule ma poule » enthousiaste. Mais rappelle-toi que quoi qu’il arrive il faudra prendre sur toi et éviter de la corriger systématiquement si tu ne veux pas la bloquer à vie dans son apprentissage de la langue. Oui, elle dira peut-être encore pendant six mois « tu pas fais ça » et « je suis 25 ans », comme un gamin de 2 ans et demi mais prends sur toi on a dit.

Gudrun ne prendra jamais la mesure de tes aptitudes exceptionnelles en jeux de mots.

De même, il te faudra faire une croix sur ta passion des expressions désuètes françaises, qui traduites littéralement ne ressembleront peu ou prou à rien. Si tu veux faire tomber Gudrun (et t’assurer qu’il comprenne tes blagues) il te faudra oublier toute subtilité et plonger sans honte dans le registre de l’absurde et du comique de situation.

Quand Gudrun sera plus familier avec le français, il commencera à répéter tout ce que tu dis (et c'est agaçant).

Chaque fois qu’il ou elle comprendra un mot, sa fierté sera telle qu’il/elle ne pourra s’empêcher de le répéter dans son coin, l’air radieux. Au départ ce sera juste quelques « Marrde » ou « Putan » qui te feront réaliser à quel point tu es vulgaire, avant qu’il/elle ne chuchote en écho sans même s’en rendre compte toute phrase qui sortira de ta bouche qui ne lui était pas adressée. Ah et tu vas devoir commencer à surveiller ce que tu dis en sa présence.

Et surtout garde en tête que Gudrun n’appréciera jamais la chanson française, jamais.