« Je n’en attendais pas moins de ta part ». Voilà ce qu’on t’a dit la dernière fois que tu es arrivé en retard à un rendez-vous. D’abord ton coeur s’est brisé, tes yeux se sont humidifiés et puis, tu as ressenti comme un poing en plein dans tes entrailles. Ensuite, tu as réfléchi, tu as pris du recul sur la situation et tu as réalisé que tu étais peut-être en train de dramatiser. Il est vrai que tu appartiens à une caste très particulière d’êtres humains ultra relous : celle des retardataires. Et si tu t’évertues, tous les jours, si tu t’épuises à expliquer en long, en large et en travers que tu n’es pas responsable de tes actes, rien n’y fait, les gens s’obstinent à te toiser, te juger, à refuser tes excuses quand tu « oublies » d’arriver à l’heure. Tu ne comprends pas. Pourtant tu en as de bonnes raisons.

Tu es un gros mytho : « Comment ça ? On avait dit "rendez-vous à 30" ? Moi, j’avais compris 45. »

Initialement, ce n’était pas une raison pour justifier ton retard. Simplement une conséquence. Mais avec le temps et l’expérience, tu t’es rendu compte de ta force de persuasion, de ton aptitude inégalable à manipuler ton entourage. Oui car, depuis des années, ces innocents pensent qu’ils ont affaire à un « gros naïf un peu concon à qui l’on pardonne tout ». Mais la vérité est tout autre : tu es un monstre de fourberie. S’ils savaient.

Tu te surestimes beaucoup trop en terme de rapidité

Pendant longtemps, tu étais persuadé qu’il te fallait précisément 6 minutes pour te doucher, 4 minutes pour te sustenter et 7 minutes pour ressembler à quelque chose d’autre qu’un étron. Puis les années passant, la crasse s’est faite plus difficile à retirer, et surtout il t’a fallu de plus en plus de temps pour émerger de ton sommeil de cave. Du coup, les 17 minutes auparavant nécessaires se sont petit à petit transformées en une heure trente. Sauf que ces 73 minutes supplémentaires, tu ne les as pas et tu ne les auras jamais puisque ton minuscule ciboulot n’intègre pas l’équation.

Tu oublies systématiquement quelque chose chez toi avant de partir

Clés, portefeuille, manteau, écharpe, dignité. Tout y passe. Chaque matin, c’est le même manège, tu claques la porte et après quelques minutes d’insouciance, alors que tu t’engouffres dans la bouche de métro, tu réalises soudain que tu ne passeras jamais les bornes puisque tu n’as ni ticket, ni argent pour en acheter et encore moins un cerveau POUR Y PENSER AVANT DE PARTIR. Du coup, retour à l’expéditeur, tu rentres chez toi, conscient que cette journée commence sous de très mauvais auspices…

Les transports en commun se foutent de ta gueule

Mais vraiment. La ligne fonctionne parfaitement depuis 6h du matin. Rien à signaler. Tu débarques, penaud, tranquille, heureux d’être en vie. Et là, c’est le drame. Le métro s’arrête, les lumières s’éteignent, l’espoir de croiser les regards d’admiration de tes collègues fiers de toi pour la première fois s’envole au loin dans la rame. Souvent, quand tu arrives plus tard au boulot en sueur, après avoir marché, couru, esquivé les autres piétons infoutus de te laisser passer, tu es confronté à la suspicion des autres. Et ça c’est injuste parce que, cette fois-ci, tu dis la vérité.

Tu veux créer l'envie, maintenir le désir ... l'objectif est rarement atteint

C’est une façon comme une autre de gérer tes relations mais mon petit doigt me dit que chaque retard de ta part n’est qu’un pavé de plus lancé dans la mare d’indifférence de tes potes à ton égard. Désolé pour toi. Ce qu’on t’invite à faire pour les intéresser, plutôt que de les gaver au plus haut point parce qu’ils t’attendent gentiment depuis trois heures, c’est de devenir fascinant et de trouver des sujets de conversations pertinents à aborder. Voilà, bon courage.

Tu ne sais pas lire l’heure et tu n’as jamais osé demander à ce que l’on t’apprenne

Tu te fous du monde ?

Tes parents ne t'ont pas assez puni quand tu étais gosse, sale mioche

Tes parents t’ont aimé, ça s’est sûr. Par contre, ils ont oublié de s’occuper d’un pan de ton éducation et si via ton prisme biaisé de retardataire, tu penses que tu joues avec les conventions et que finalement, 20 ou 30 minutes sur l’échelle d’une vie ce n’est pas grand chose, tu te goures.

Tu es trop optimiste, beaucoup trop, les malheureux ne te comprendront jamais

Selon un média obscur et très renseigné (hum), il semblerait qu’il y ait une corrélation entre retard et bonne santé mentale. Ainsi le matin, quand tu es en panique, que tu frôles la tachycardie et que tu t’insultes toi-même de tous les noms (détruisant ainsi de manière insidieuse ton estime personnelle), tu es juste optimiste. Tout va bien. Ce même site internet indique également que les élèves qui fument de la weed et qui foirent leur permis à plusieurs reprises sont plus intelligents que les autres. Par contre les gens sains qui réussissent l’exam du premier coup, vous êtes des gros teubés, désolé… Non ce n’est pas dit dans l’article, simple raisonnement a contrario.

Tu ne peux pas blairer tes potes et tu essaies de leur faire comprendre de manière indirecte

C’est ça, la vérité. Sauf que ça fait trop mal et loin de toi l’idée de briser leurs petits coeurs. Alors plutôt que de leur dire les choses en face, tu préfères économiser ton temps et réduire les moments passés avec eux. Arriver en retard pour moins les voir. Avoue-le.

Tu es coincé dans un autre espace-temps au sein duquel, hélas, les minutes sont des heures

De fait, quand tu dis que tu arrives dans 2 minutes et que tu débarques deux heures plus tard, tu ne mens pas vraiment. Tu fais juste état de ta propre réalité. Mais ça personne ne le comprend. D’ailleurs tu as tendance à penser que ce sont les autres qui sont coincés dans une dimension étroite et dérangée où le temps passe beaucoup trop vite et où la précipitation fait office de normalité. #jedénonce.

Bref, ce n’est jamais de ta faute. Mais vraiment jamais. À croire que tes retards sont le fruit de circonstances hasardeuses. En tout cas, si jamais on te reproche quoique ce soit, surtout n’oublie pas que tu as encore un tas d’excuses plus bidons les unes que les autres sous le coude. De toute façon, comme tes amis t’aiment, ils te pardonneront, encore une fois.