A l’occasion de Man Of Steel de Z. Snyder, intéressons-nous au personnage de Superman, un Super-héros exemplaire, presque trop. Ce super-héros ultime est capable de tout soulever, y compris de nombreuses questions philosophiques. Et à Topito, la philosophie, c'est notre dada. On a donc fait appel à un spécialiste, Simon Merle, professeur de philosophie et auteur de Super-Héros et Philo, pour qu'il évoque quelques unes des interrogations que lui inspire l'homme en collant.

  1. Quelle est la signification de la double identité de Superman ?
    Pas de Super-héros sans double identité. D’un point de vue général, cela permet d’affirmer la complexité psychologique du héros, sans tomber dans la schizophrénie. La double identité a trois fonctions essentielles : elle permet au héros de rester anonyme et de protéger ses proches contre les méchants. Elle comporte aussi une dimension symbolique et théâtrale puisque le masque affirme la dimension identitaire du héros et le rôle qu’il entend jouer socialement. Enfin, la double identité facilite l’identification des spectateurs au Super-héros qui peut la plupart du temps se comporter comme vous et moi.
  2. Le costume de Superman a-t-il une dimension érotique ?
    Ne parlons pas ici du slip mis par-dessus des collants bien moulants. Son éviction du film de Snyder a d’ailleurs fait débat… Définissons plutôt l’érotisme comme ce qui consiste à dévoiler tout en cachant. Il suscite ainsi un désir, vis-à-vis de l’inconnu. Superman n’aurait donc pas de mal à se trouver de nombreuses prétendantes si tel était son but, car on sait tous que le port du costume fait son effet (faites l'expérience en soirée, c'est redoutable). Par ailleurs, le port du costume est souvent ce qui permet au héros de prendre confiance en lui-même ; voyez la différence entre la maladresse de Clark Kent et l’assurance séduisante de Superman, qui n’a rien à envier au dieu Eros.
  3. Superman a-t-il le droit d’aimer Loïs Lane ?
    Il semble en tout cas qu’il en ait la capacité, puisqu’il s’est sérieusement entiché de cette humaine courageuse mais tout à fait ordinaire. Mais est-ce légitime ? Car en favorisant une personne, ne va-t-il pas faillir à sa mission ? S’il a pour Loïs une attirance, qui le conduit en la protégeant, à satisfaire un désir égoïste, alors c’est la moralité de son action qui est mise en défaut. Voilà bien la dimension tragique que l’on retrouve dans toute bonne histoire de héros depuis Corneille : le combat le plus intéressant n’est pas celui qui se fait à coups de poings contre les méchants, mais celui qui se fait dans la conscience héroïque, partagée et parfois déchirée entre l’intérêt personnel et l’intérêt général.
  4. Superman est-il vraiment l’incarnation de la justice ?
    Superman est un justicier, c’est bien connu. Mais de quelle justice parle-ton ? Lorsque Mark Millar imagine dans un comic book, un Superman élevé en URSS qui défend les intérêts du parti au pouvoir, un doute survient : Superman ne serait-il que le serviteur d’une justice relative à un pays ? A l’inverse de Batman, qui incarne une justice plus personnelle et réfléchie, Superman semble adopter une forme de conformisme vis-à-vis de l’idéologie ambiante. Jusqu’à ce que, dans le numéro 900 d’Action comics, il délaisse sa nationalité américaine pour se déclarer citoyen du monde et incarner ainsi une justice plus universelle…
  5. Les origines extra-terrestres de Superman sont-elles un obstacle à son humanité ?
    Superman est un immigré, adopté par la famille Kent. Par son origine, il n’est donc pas humain, ce qui explique peut-être en partie le rejet dont il fera l’objet à certains moments. Pour autant, son intégration et l’amour qu’il porte aux humains nous permet de questionner ce qui fait l’humanité. Est-ce vraiment une question de gènes et d’origine ? N’est-ce pas davantage une question d’éducation et de valeurs. La dignité de Superman lui permet de prétendre à une place au sein de l’humanité, de manière bien plus légitime que certains de ses ennemis terrestres, qui se comportent de façon inhumaine…
  6. Superman est-il un homme ou un Dieu ?
    Kal-El, le nom de baptême kryptonien de Superman signifierait en hébreu « le petit Dieu ». Nombreux sont par ailleurs les éléments de comparaisons avec un autre être à la fois divin et humain, qui a fini par périr par amour des hommes. Mais le rapprochement entre Superman et le Christ nous permet d’insister sur la dimension médiatrice du Super-héros. Il est cet entre-deux, qui à la manière de l’ange, fait la transition entre la faillibilité des hommes et la perfection divine. Il joue ainsi le rôle d’exemple et inspire l’espoir, sans être trop éloigné, afin de permettre l’identification du spectateur ou du lecteur, de la condition humaine.
  7. Superman est-il immortel ?
    Cette question est rattachée à la précédente. Superman n’est pas un Dieu puisqu’il est faillible et surtout extrêmement sensible à une roche extra-terrestre, la kryptonite. Ce talon d’Achille nous amène à affirmer sa condition de mortel. Les amateurs de comics se remémoreront sa fin tragique contre Doomsday, tout en la nuançant en rappelant sa résurrection. Le fait que Superman ne vieillisse pas au cinéma depuis les années 1930 (pour des raisons scénaristiques) entretient cette ambiguïté.
  8. Superman est-il un surhomme ?
    Les questions 5 et 6 nous amèneraient à penser que Superman, s’il est plus qu’un homme comme l’indique l’adjectif « super », doit être un surhomme. Attention néanmoins à ce que l’on entend sous ce terme, qui suscite depuis son évocation par Nietzsche, des interprétations discutables. Le philosophe allemand entendait par là, la définition d’un but pour l’homme et les conditions de son autodépassement. Certains comprendront malheureusement la nécessité d’une sélection par la race et la juste domination des êtres supérieurs. En ce qui concerne notre héros, remarquons qu’il ne revendique jamais une quelconque domination sur les hommes et qu’il se considère au contraire comme leur serviteur. En tant qu’exemple et espoir suscité par sa bonté, il peut peut-être encourager l’humanité ordinaire à progresser dans ce sens.
  9. Est-ce que ce sont ses pouvoirs qui font de Superman un héros ?
    Si Superman peut être considéré comme un demi-dieu ou un surhomme, n’est-ce pas parce qu’il possède des pouvoirs et une force sans limites ? Pourtant, comme nous le montre l’exemple de méchants parfois très bien pourvus de ce côté-là, il semblerait que le statut de héros implique autre chose qu’une supériorité physique. Et si les pouvoirs peuvent être indifféremment employés pour faire le bien ou le mal, qu’est-ce qui préside à leur usage héroïque ? On peut répondre en remarquant simplement que Superman n’utilise jamais ses pouvoirs pour son propre intérêt (sauf peut-être quand il emmène Loïs Lane faire un petit tour dans les airs) et qu’il fait donc de sa force un usage responsable. Imaginez la sagesse et la force d’esprit nécessaire pour ne pas abuser de ces capacités extraordinaires... On sait bien qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, et c’est en cela que réside le Super-héroïsme.
  10. L’humanité a-t-elle besoin de Superman ?
    Cette question a le mérite d’être posée par Loïs Lane dans le précédent opus cinématographique (Superman Returns, 2006). Superman n’est-il pas trop interventionniste ? On risque de se reposer un peu facilement sur ce bon serviteur et de ne pas chercher nous-mêmes les moyens de notre paix. Par bonheur, Superman n’existe pas vraiment, mais en tant qu’être de fiction, on peut avoir besoin de lui à partir du moment où il encourage à bien agir, donne espoir en l’humanité et suscite une réflexion fertile sur notre monde.

Et vous, vous allez voir Superman pour vous poser les bonnes questions ?

Un top écrit par Simon Merle, auteur de Super-Héros et Philo, aux éditions Bréal:
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