Qu’on soit bien clair, l’isolement que l’on a vécu est unique dans l’histoire de l’humanité. Jamais 2,6 milliards de personnes, “Vous savez ce que ça fait 1 milliard, Larmina ?”, n’ont été confinées chez elles en même temps. Même pas pour regarder la finale de Top Chef. Mais le principe de la quarantaine n’est pas nouveau. Il se fonde sur la doctrine hippocratique qui affirme qu’une maladie qui dure plus de quarante jours est chronique (genre le diabète, l’asthme ou même Kev Adams). Cela veut dire que si on isole les personnes malades pendant quarante jours, soit elles guériront parce que finalement ça allait, soit elles mourront parce qu’en fait elles avaient la toux qui tue.

L’avant-première

En 1374 à Raguse, l’actuelle Dubrovnik en Croatie, apparaît pour la première fois le principe de quarantaine. Alors les mecs n’appelaient pas ça une quarantaine puisque ça ne durait que 30 jours. Et aussi parce qu’ils parlaient croates. Mais ils imposaient un séjour à tous les voyageurs, venus d’Orient sur une île en face de la ville. Parce qu’avant ça, pour lutter contre la maladie, les gens à l’épicentre de l’épidémie fuyaient les bras en l’air en criant des phrases incohérentes. Ce qui est à peu près aussi efficace qu’un Parisien qui fuit dans sa maison de campagne en début de confinement. Oh snap !

La crise de la quarantaine

Le Grand-Saint-Antoine accoste à Marseille le 25 mai 1720. À son bord, une cargaison de balles de coton en provenance du Levant contaminées par la peste qui sévit au Moyen Orient (qui faisait partie des épidémies les plus meurtrières après Les anges de la téléréalité). Une quarantaine est mise en place par les plus méticuleux serviteurs de la cité phocéenne. Bilan des courses, 30 à 40 000 morts sur une ville de 90 000 habitants. Je crois qu’ils avaient négligé les gestes barrières, con !

La Der des der, avant la suivante

En 1955, la ville de Vannes est confinée pour lutter contre une forte odeur de chouchen émanant de ses rues. Il s’avèrera que c’était en fait une épidémie de variole qui sévissait. Pour résoudre le problème, le gouvernement français procédera à une grande vague de vaccination. C’était la dernière grande quarantaine en France avant celle qui nous préoccupe aujourd’hui.

Vomito Negro

Dans l’histoire de la quarantaine, y’a aussi les pays mis en quarantaine. Quand un pays envoie son armée pour faire en sorte que les ressortissants du pays “isolé” ne pénètrent pas dans le pays “isolant”, on appelle ça un “cordon sanitaire”. C’est un peu comme si les videurs d’une grosse soirée interdisaient l’entrée à ceux qui ont perdu leur bracelet, sauf que tout le monde a perdu son bracelet. À l’occasion de la grosse soirée qui se déroulait en 1821 à Barcelone, qu’on appellera amicalement l’épidémie de fièvre jaune (aussi appelée vomito negro, évidemment), les 30 000 videurs, qu’on appellera amicalement l’armée française, ont fermé la frontière espagnole. Ça a permis de contenir la fièvre jaune mais pas la série Un Dos Tres. Efficacité mitigée.

L’isolement atomique

Le 26 avril 1986, la centrale de Tchernobyl explose. À 2500 kilomètres de là, le pape François Mitterrand ferme la frontière française, nous protégeant ainsi du nuage radioactif. Depuis, la ville de Pripyat est dans la zone d’exclusion de 30 kilomètres autour de la centrale de Tchernobyl (à ce sujet je vous renvoie vers les sympathiques témoignages de rescapés de Tchernobyl, du lol en barre). C’est devenu un musée de l’ère soviétique, offrant un voyage dans le passé, au même titre que Pompéï. On peut visiter la ville où la nature a repris ses droit en passant par une agence spécialisée, un peu comme faire un safari en DeLorean.

Le pouilleux et le bolchévique

Le Typhus se répand notamment à cause des poux et des puces. Au sortir de la Première Guerre mondiale, une quarantaine a été décrétée autour de la Russie en proie à une épidémie se propageant à cause des grands mouvements de population liées au retrait des troupes et à la fin de la guerre. Très vite l’idée se répand que les “bolcheviques”, en pleine révolution, sont particulièrement porteurs de la maladie. Eh, venez on remplace bolchévique par d’autre mot et on voit ce que ça donne. Bref, la situation en Russie s’améliore vite avec le retour de conditions de vie plus confortables.

La lutte des premières classes

Marseille… décidément c’est toujours là que ça se passe… 14 septembre 1901, le Sénégal, paquebot français, repart pour son tour de la Méditerranée. Il rebrousse rapidement chemin pour accoster au lazaret (structure en marge des villes dédiée à accueillir les personnes mises en quarantaine) du Frioul, à quelques kilomètres de la ville. A son bord, Raymond Poincaré, futur président du conseil et président de la République mais aussi un marin contaminé par la peste. Panique, tout le monde est mis en quarantaine. Seulement la quarantaine n’est pas la même pour tout le monde, comme Leila Slimani et “sa maison où [elle] passe tous ses week-end depuis des années.”. Les aristocrates refusent le mélange, l’équipage et les serviteurs resteront confinés sur le bateau. Ils se plaignent également de payer des frais de séjours supplémentaires (dérisoires). Comble de l’histoire, ils feront réduire la durée de la quarantaine grâce à des pots-de-vin, mettant en danger Marseille, la Fronce, le monde, mais surtout les relations de Jean-Claude Gaudin, déjà maire à l’époque.

Pique et pique et choléra

1884, le Louise-Marie, un morutier français revient de sa pêche au large de Terre-Neuve pour accoster à Fécamp en Seine-Maritime. Il part ensuite pour les sécheries de poissons de Sète, dans le sud de la France. Pendant les quelques heures que s’accordent les marins à terre, deux d’entre-eux meurent du choléra. L’équipage est diagnostiqué malade et sommé de rentrer à Fécamp. Emile Bazile, cholérique (pas comme Philippe Etchebest qui lui est juste colérique), rentre contre toutes recommandations dans sa famille à Yport. Résultat, neuf personnes de son entourage mourront. On ne dira pas “l’Yport du masque est obligatoire” parce que le choléra se transmet par les eaux usées et les affaires sales. Yport sera donc mis en quarantaine et un permis de circulation mis en place. Ces mesures permettront de limiter l’épidémie à un cluster, celui d’Yport.

La quarantaine, c’est pas qu’un âge où tu commences à te faire tâter la prostate par ton médecin traitant, c’est aussi une mesure préventive contre les épidémies. Y’en a-t-il eu d’autres qu’on aurait oublié ?