Femmes, hommes, jeunes parents, nullipares et tous les autres, il est grand temps d’en finir avec cette vaste mythonnerie qu’est l’instinct maternel. Un truc sur lequel on fait reposer beaucoup de clichés alors que si l’on creuse un tout petit peu, il faut se rendre à l’évidence : l’instinct maternel n’existe pas. On vous recommande à ce sujet le superbe livre de Fiona Schmidt qui résume on ne peut mieux la question et devrait trôner sur les tables de chevet de toutes et tous : Lâchez-nous l’Utérus. Ce top reprend plusieurs de ses arguments et citera quelques passages mais LISEZ-LE bon sang de bois, c’est bien utile d’avoir ce genre de livre sous la main.

On ne sait pas vraiment ce que ça signifie

Sa définition n’est pas très claire et dépend un peu de tous les clichés qu’on veut bien mettre dedans : pour certains c’est un supposé coup de foudre qui devrait survenir après l’accouchement entre la mère et son enfant (même si ce gnome baveux t’a mis la misère), pour d’autres c’est encore plus mystérieux puisque ce sont les compétences dites « maternelles » (allaiter, changer des couches, donner le bain, faire des coquillettes au jambon) qui deviendraient soudainement acquises une fois l’enfant arrivé.

En gros, toutes les femmes auraient un bagage de compétences pour s’occuper d’un enfant qui se déclencherait naturellement au contact d’un de ces trucs. De préférence, le sien. Puisque dans le packaging de l’instinct maternel, il y a bien évidemment l’envie ontologique de faire des enfants dans le cœur de chaque femme.

Pourquoi parle-t-on toujours d'instinct maternel et jamais d'instinct paternel ?

Eh oui ce qui pose problème en premier lieu avec cette expression, c’est son attribution sexuelle qui renvoie à la nécessité prétendument organique des femmes à procréer sans quoi elles auraient un comportement « contre-nature ». Mais que fait-on des pères dans c’t’histoire ? C’est donc le premier indice qui nous permet de capter qu’il y a un truc qui cloche : le concept d’instinct maternel exclue de fait l’existence d’un amour paternel, qui ne répondrait pas du moins à une loi « naturelle ».

Le truc con dans cette affaire c’est que ça relègue encore les hommes à un rôle passif puisque la charge de la procréation revient alors aux meufs.

Il y a plus d'hommes qui veulent avoir des enfants que de femmes qui veulent avoir des enfants

ET BIM. Ça vous la coupe, non ? Plusieurs études relayées dans le livre de Fiona Schmidt montrent par exemple qu’aux Etats-Unis, parmi les personnes en âge d’être parents, 80 % des hommes seraient favorables à cette idée contre 70 % des femmes. De la même façon, en France 30 % des hommes gays déclarent vouloir des enfants. Bref, ça semble être une évidence mais dans la vie il y a des gens qui veulent des enfants et des gens qui ne veulent pas d’enfants, et dans ces deux catégories il peut y avoir des hommes cis, des femmes cis, des trans, des inter, des queer, des lesbiennes, des gays, des bi, des asexuels. Dingue, non ?

L'instinct maternel suppose que les femmes doivent forcément passer par la case "maman"

Encore une fois parce que qu’on prête aux femmes cette loi naturelle, animale si j’ose dire, qui serait donc inscrite dans leurs gênes renvoyant ainsi les malheureuses femmes sans instinct maternel à des non-femmes. Une vaste fumisterie relayée par les plus grands auteurs comme Rousseau et son fameux « Les hommes créent, les femmes procréent ». Ce gars, si je l’avais eu en face, je lui aurait fait une clé.

Finalement, on passe plus de temps dans notre vie à essayer de NE PAS se reproduire qu'à essayer de se reproduire

Voilà ce que vous pourrez dire quand on vous rétorque systématiquement que « se reproduire, c’est naturel ». Oui c’est naturel. Mais ça l’est tout autant de ne pas se reproduire. Par ailleurs, si faire des enfants était un acte inné, on n’aurait pas besoin de politiques natalistes visant à démouler du bébé à foison comme cela a été fait par le passé.

C'est une sombre arnaque de scientifiques

On a déjà cité Rousseau qui n’était pas vraiment le plus féministe de l’histoire de la philo ; oui oui, OK ce serait anachronique de parler de féminisme à cette époque mais le mec a quand même pondu toute une leçon de morale sur l’éducation après avoir abandonné ses propres enfants. Donc il est sympa, son oeuvre est fondamentale, mais il mérite quand même des claques. Mais il n’est pas le seul ! Il y en a toute une clique qui a bien bossé pour encrer le concept d’instinct maternel dans l’imaginaire. A commencer par Darwin, qui le théorise en 1871. A force d’observer dans la nature des mères très attachées à leurs petits il s’est dit que ça devait être pareil chez les femmes. Bah oui parce qu’une femme à qui on retire ses enfants va être super triste, c’est logique en fait tout ça. Sauf que non. C’est pas parce qu’on n’a pas d’instinct maternel qu’on est dénué de tout sentiment et de toute émotion et n’importe quelle personne un temps soit peu empathique ne devrait pas s’inquiéter pour ses enfants rapport au fait que si on fait des enfants c’est un peu pour qu’ils survivent et fassent des vidéos TikTok de piètre qualité.

Par ailleurs, de nombreux médecins du début du XXe siècle ont contribué à mettre en place les politiques natalistes notamment sous le régime de Vichy durant lequel on prête à la maternité tout un tas de vertus (embellir, améliorer la santé, éviter la dépression…). Le sociologue Emile Durkheim pense même que la maternité prévient du suicide. BAH VOYONS. Fort heureusement depuis la seconde moitié du XXe siècle, on commence à capter que cette sombre histoire d’instinct maternel est souvent mise à mal quand la grossesse n’a pas été désirée. MAIS NAN SANS BLAGUE.

... qui continue encore aujourd'hui

Amusez-vous à taper « instinct maternel » sur Google et vous trouverez une flopée d’articles édifiants comme celui du Figaro ou du journal Le Temps, sur les études scientifiques montrant que les femmes ont un truc dans leur cerveau qui les rend plus alertes aux pleurs des enfants, surtout quand c’est le leur. Perso j’ai développé la même capacité avec mon chat et jusqu’à preuve du contraire, je ne l’ai même pas sorti de mon corps. C’est d’ailleurs mon plus grand regret.

L'absence de prétendue "fibre maternelle" ou "instinct maternel" ne veut pas dire qu'on déteste les enfants

Quand on ose dire qu’on ne veut pas d’enfants, parmi les multiples questions qu’on nous pose en retour il y a cette fameuse « c’est parce que t’aimes pas les enfants ? ». Eh bien figurez-vous que non, BIG SURPRISE. Les personnes sans enfant peuvent aimer les enfants des autres, parfois même les éduquer. De la même façon que les personnes qui ne veulent pas d’enfants ne pensent pas que les personnes qui veulent des enfants sont des gros nazes. De la même façon que les personnes qui ont eu des enfants ne sont pas toujours les plus douées avec les enfants.

Ce n'est pas parce que les mères sont souvent attachées à leurs enfants que c'est naturel

On l’a déjà dit mais on le redit, l’attachement qu’on développe au contact de son enfant concerne non seulement père et mère et est tout à fait relatif. BIG NEWS : il y a des enfants qui ne sont pas désirés, et même pire, il y a des parents qui n’aiment pas leurs enfants. Il n’existe aucune loi naturelle et universelle qui régit cet attachement, somme toute, relatif.

En fait, finalement, quelque part, en fin de compte, tout ça dépend de la responsabilité de chacun.

Le truc vachement cool avec cette histoire d’humains que nous sommes c’est que nous avons la capacité de faire des choix, de se poser des questions et de prendre de la distance avec nos gènes. Et pour finir je pique les mots de Fiona Schmidt : « Il ne s’agit donc pas ici de nier la spontanéité du désir d’enfant, mais seulement de relativiser l’universalité qu’on lui prête : en réalité, sur 150 millions d’enfants qui naissent chaque année dans le monde, les enfants du désir constituent une minorité – celles des sociétés privilégiées –, que ces mêmes sociétés privilégiées ont elles-mêmes érigé et représenté comme étant la norme et la conséquence d’un élan naturel. »

Ça vous en bouche un coin pas vrai ?

Sources : France Inter, Modern Love « Désir d’enfant et instinct maternel » , Psychologies « Le désir d’enfant échappe souvent à notre volonté », Libération « L’instinct maternel n’existe pas », ainsi que le livre ci-dessous.