La série Chernobyl est considérée comme l’une des meilleures séries de tous les temps par la plupart des observateurs. Et pour cause : en plus de respecter (globalement) la vérité historique, la série raconte les parcours réels de celles et ceux dont la vie a été à jamais changée par cette explosion nucléaire. On ne comprend pas toujours bien les effets de la radioactivité sur le corps, mais les témoignages dont la série s’est inspirée donnent une idée factuelle et terrible de ceux-ci. Des témoignages pour la plupart issus de La supplication, le livre de Svetlana Alexievitch consacré aux survivants de Tchernobyl. Nous en retranscrivons une partie ici.

Natalia Manzurova

En 1986, la radiobiologiste Natalia Manzurova est envoyée à Tchernobyl avec 7 autres personnes pour évacuer tous les biens devenus radioactifs. Au total, elle passera 4 ans et demi dans la ville désertée. Manzurova faisait partie des liquidateurs envoyés sur du long terme. Malgré les protections, elle voit son visage se tanner à mesure que le temps passe en raison de la radioactivité. L’équipe de Manzurova ne dispose d’aucun instrument pour mesurer le risque radioactif tandis qu’elle remplit la mission que l’URSS lui a confiée. Aujourd’hui, 33 ans après la catastrophe, elle est le seul est la seule survivante de son équipe : tous les autres sont morts d’un cancer causé par l’exposition aux radiations. Elle fait donc partie des liquidateurs survivants qui bénéficient d’une aide d’Etat, son niveau d’invalidité étant considéré comme extrêmement élevé avec 20% d’aberration chromosomique. Sa vie a changé à jamais.

Lyudmila Ignatenko

Son témoignage a servi de trame principale pour la série Tchernobyl. Lyudmila vivait à Pripyat dans la caserne de pompiers où son mari avait été affecté. Ils étaient jeunes mariés, se tenaient encore la main dans la rue. La nuit de la catastrophe, son mari, Vassili, est envoyé sur place pour éteindre ce qui s’apparente à un incendie. Lyudmila n’a pas vu l’explosion juste les flammes et cette immense sensation de chaleur. Vassili lui dit de se recoucher et de fermer les fenêtres avant d’aller faire son travail. A sept heures du matin, il était à l’hôpital. Lyudmila demande à le voir, on le lui refuse, elle insiste auprès d’une connaissance et obtient vingt minutes au chevet de Vassili. Il est boursouflé, brûlé, le visage méconnaissable. Il mourra une dizaine de jours plus tard après avoir demandé à sa femme de fuir la région avec le bébé qu’elle portait. Elle n’en fait rien et reste au chevet de son mari pendant toute son agonie et contre les recommandations des médecins. Quelques mois plus tard, sa fille naît, puis meurt aussitôt. Lyudmila réussira à avoir miraculeusement un garçon sain plus tard avec un autre homme.

Tatiana avait 9 ans

Le 26 avril 1986, Tatiana est réveillée par sa mère au petit matin. Elle a 9 ans et comprend que quelque chose ne va pas car sa soeur ne peut pas se rendre à sa compétition de sport. En l’absence d’instruction, la mère de Tatiana les envoie, elle et sa soeur, à l’école. Dans la matinée, des femmes entrent dans les salles de classe et distribuent des comprimés d’iode en recommandant aux enfants de les prendre très vite. Le lendemain, les autorités organisent l’évacuation dans la pagaille. Personne ne sait ce qu’il doit, ce qu’il peut prendre. Que faire des animaux de compagnie ? On s’entasse dans des bus. 48.000 personnes sont ainsi éloignées de la zone de la catastrophe dans une caravane de bus. Tatiana et sa famille se rendent chez ses grands-parents avant d’aller se faire inspecter à l’hôpital. On mesure leur niveau de radioactivité mais les médecins ne disposent pas d’une grille de lecture pour mesurer la gravité de la contamination. On ne leur a jamais dit quelle était la dose normale. Finalement, les autorités finiront par expliquer à la famille qu’elle ne pouvait plus regagner Prypiat avant 30 ans. Evacuation temporaire.

Nikolaï Kalouguine

Le troisième jour, les Kalouguine ont été évacués. Les autorités sont claires : ils ne peuvent emporter aucun effet personnel et les animaux ne sont pas du voyage. Nikolaï abandonne son chat. Mais il se refuse à abandonner la porte de sa maison. Cette porte, c’est le symbole de sa vie : pour satisfaire à une coutume locale, son père a été allongé dessus pendant sa veillée funèbre ; sur cette porte figurent les petites encoches mesurant l’évolution de la croissance de Nikolaï au fur et à mesure des années ; puis celles de ses deux enfants. Mais Nikolaï doit renoncer à son projet. Il reviendra deux ans plus tard, sans autorisation, pour emporter la porte sous le regard menaçant de miliciens prêts à tirer. Il emportera la porte pour y allonger sa fille, morte des suites de Tchernobyl à 7 ans.

Anna Badaïeva est restée dans la zone de radiation

Personne n’y comprenait rien. Personne ne voulait croire que le danger se maintenait malgré l’extinction de l’incendie. Anna Badaïeva la première. Ses enfants ont cherché à les convaincre de quitter la zone, elle et son mari, mais « ils n’avaient pas encore planté le potager ». Ils sont restés. Ils avaient survécu à la guerre, ils pouvaient survivre à Tchernobyl. Anna Badaïeva ne savait pas vivre autrement que comme elle vivait. Elle n’aurait pas pu vivre en ville. Alors elle est resté, malgré l’eau contaminée, malgré l’interdiction de traire les vaches, malgré l’impossibilité de récolter des légumes. Elle est resté.

Larissa Z.

Un objet sans fente. C’est comme ça que Larissa a découvert sa fille. Un bébé né sans anus, sans vagin. Seuls les yeux étaient ouverts. La fille a survécu. C’est la seule petite fille de Biélorussie à avoir survécu malgré ces malformations immenses. Après avoir accouché, elle a entendu les médecins murmurer : « Si on montre ça à la télé, plus aucune mère ne voudra accoucher ». La petite a grandi, son développement intellectuel est normal. Elle joue au docteur avec ses poupées – sa vie n’est qu’aide médicalisée en permanence. Larissa ne cesse d’organiser des opérations pour lui faciliter la vie. Elle écrit à des cliniques étrangères. Elle n’a pas souvent de réponse.

Vilia Prokopov

Vilia Prokopov est l’un des rares survivants parmi les premières équipes à être intervenues sur place. Il est arrivé à Tchernobyl 4 heures après l’explosion : il se souvient encore du spectacle de désastre, l’énorme dalle de béton effondrée dissimulant mal le réacteur fumant, brillant, plus brûlant que le soleil. Prokopov devait oeuvrer à l’évacuation des eaux accumulées pour éviter une deuxième explosion. Les radiations ont brûlé sa gorge : désormais Prokopov ne peut plus que chuchoter. Autrefois, à ses heures perdues, il chantait.

Alexander Malish

Alexander Malish a passé 4 mois et demi près de Tchernobyl pour participer à l’effort de décontamination. Quelques années plus tard, sa fille naissait avec le syndrome de Williams, une affection rare ayant des répercussions sur le développement intellectuel, le fonctionnement cardiaque et le comportement général, anormalement social. Mais sa fille a tout de même réussi à avoir un enfant à son tour ; un enfant qui souffre de la même maladie dans une dimensions plus sévère encore.

Si vous ne l’avez pas vue, jetez un œil à la série Chernobyl.