Le compte Dark Stock photos s’amuse à dénicher les photos les plus angoissantes, étranges ou incompréhensibles des banques d’images en ligne. Des images sans commentaires mais qui racontent en elles-mêmes des histoires extraordinaires, façon Pierre Bellemarre.

Les voici, ces histoires.

Ludmilla

Depuis 7 mois, Felipe préparait son coup. Il avait rencontré Ludmilla Mench dans un casino de la Côte d’Azur où elle traînait sa morgue et son fauteuil. Felipe avait tout de suite flairé l’affaire : jeune veuve handicapée dont l’horizon ne dépassait pas la table de roulette. Il planta la rombière à qui il servait de gigolo pour pousser le fauteuil de sa nouvelle conquête. Un travail peinard : sexe impossible, homme de compagnie. Il lui préparait des ratatouilles – son plat favori – tandis qu’elle posait sur lui des regards attendris. Niveau fric, Felipe s’y retrouvait. Alors une idée lui vint : devenir Monsieur Mench. Jouir de la villa splendide à Juan-les-Pins tous les étés avec l’assurance du propriétaire. Il se décida : empruntant le carnet de chèque de madame, il se procura une bague à peu de frais dans une boutique du centre-ville et revint, sûr de son fait. Une fois Ludmilla mariée, il n’aurait plus qu’à profiter de son argent pour aller en voir de plus jeunes.

Ce qu’il faisait chaud, ce jour-là. Il s’approcha d’elle près de la piscine, où elle prenait le soleil, fit sa demande. « Que dirais-tu qu’on se marie ? » avait-il demandé, l’air de ne pas y toucher. Ludmilla interdite. « C’est que j’en aime un autre. Il est mort, mais je l’aime encore. » avait-elle fini par répondre. Las ! Blessé dans son orgueil et son plan mis à terre, Felipe réfléchit : il y avait 350.000 livres sterling dans le coffre du salon et personne pour les réclamer ; personne, dans la famille de Ludmilla, ne connaissait Felipe. Il pourrait, profitant de la confusion, prendre sa retraite en Espagne. Sans réfléchir, il se redressa, Ludmilla posant toujours sur lui ce regard attendri, se saisit du fauteuil, et poussa. Au moment fatidique, il ferma les yeux, tandis que Ludmilla essayait, malgré l’eau, de crier au secours. Il laissa le fauteuil sur le bord, se dirigea vers le salon sans faire de bruit, jetant, à travers la grande baie vitrée, des regards sur la piscine où Ludmilla, déjà, ne se débattait plus. 350.000 livres… Il remplit un sac de voyage et quitta la villa.

Excel m'a tuer

Depuis qu’il s’était pris la tête avec le chef de la division marketing, Johann n’était plus tout à fait en odeur de sainteté. C’est à peine, désormais, si on lui disait bonjour dans les couloirs. Un matin, arrivant dans l’open space, il se rendit compte que ses affaires avaient été déplacées ; « ça y’est, ils me virent », pensa-t-il. Mais non ; on lui offrait plutôt un petit bureau tranquille, sans doute pour l’éloigner du reste des employés qui, de toute manière, commençait à lui courir sur le système. Mais comme il aurait dû s’y attendre, il s’agissait d’un cadeau empoisonné ; en lieu et place de son Mac pro, voilà qu’il se retrouvait avec un ordinateur de 1995 tournant sous le Windows éponyme. Coup dur pour un analyste, habitué à jongler avec les chiffres grâce au concours de sa fidèle machine. On cherchait clairement à le mettre en défaut. À la place de Johann, la plupart d’entre nous auraient protesté ; pas Johann. Il prit la chose comme un défi. Il enregistrait sur disquette des milliers de lignes de calcul, ne comptait plus ses heures de travail. Pas question de donner à sa hiérarchie un motif pour le licencier.

Une nuit qu’il trafiquait ses grilles, cependant, l’ordinateur se gela. Impossible de récupérer le résultat de ses calculs. Il inséra des disquettes de sauvegarde, rien n’y fit ; 11 jours et 11 nuits de travail perdus. Johann pensa à pleurer, mais les larmes ne vinrent pas. Méthodiquement, lentement, il se saisit du clavier gigantesque et lui asséna un immense coup de tête. Le choc fut terrible – pour lui, le clavier se portait bien, merci pour lui. Se vidant de son sang, Johann s’endormit d’un sommeil plutôt définitif sur sa table de travail.

Capitalisme

À 7 ans, Nino avait dû se résoudre à travailler pour aider ses parents. Avec l’aide d’un ami de son père, il avait trouvé une place d’animateur pour anniversaires dans un MacDonald’s de la banlieue de Niort. Tous les mercredis, il se rendait dans les lieux et pourvoyait, déguisé en Ronald, un peu de joie aux enfants occupés à dévorer leur happy meal. A 7 ans, Nino était très mûr. Trop mûr peut-être. La direction de l’établissement, ne le jugeant pas assez « fun », décida de l’évincer. Qu’allaient dire ses parents, eux qui vivaient dans la misère et qui n’arrivaient plus à joindre les deux bouts ? Après s’être démaquillé, Nino se regarda bien en face. Il ne supportait pas l’affront, encore moins la frustration d’être viré sans pouvoir se défendre, faute de vocabulaire d’adulte. C’est alors qu’il l’aperçut : le revolver à billes que l’un des enfants avait reçu pour son anniversaire. Chancelant, il s’en saisit, les larmes embuant sa vision. Il hésita un temps à le diriger contre lui, mais le dressa soudain devant son employeur. Le manager esquissa un rictus. Encore bouleversé, Nino redressa l’arme et visa le manager au cœur. Il tira. Le manager dit « Aïe bordel ! » L’irréparable était commis.

Un dimanche comme les autres

Le dimanche, Gilbert Chevallier aimait se lever tôt, manger des cracottes beurrées d’un seul côté et, depuis le petit balcon requalifié en terrasse par son propriétaire pour faire flamber les prix, prendre le pouls de la ville. Si le ciel l’y engageait, il ne tardait alors pas, après ses ablutions, à braver la rue, nez en l’air, en flâneur. Des plaisirs simples.

Depuis qu’il était sorti de prison, Gilbert s’était bien gardé de replonger. Peu à peu, sa vie se remettait en place. Il avait trouvé un CDD d’employé de bureau à la COGEMA, payait son loyer à temps ; ne lui manquait plus que l’amour pour se considérer heureux. Il s’imaginait déjà, une femme qui l’aime à son bras, des enfants, pourquoi pas, courant dans le jardin. Une vie, une vraie, loin de sa jeunesse marquée par la rue et le proxénétisme. Une femme qui l’aime et qui l’accepte.

Il pensait à cela, au parc, regardant les enfants s’ébattre autour des manèges. Il pensait à cela et ces idées réconfortantes lui valaient de sourire, imperceptiblement presque, inconsciemment du moins.

C’est alors qu’arriva la mère des petits. « Espèce de pervers ! Je vais appeler la police ! C’est pas fini de mater mes enfants, gros dégueulasse ! Pédophile de merde ! » Gilbert ne savait que répondre, d’autant que la femme était d’une beauté exceptionnelle. Il se perdit en gestes de dénégation, mais le mal était fait. La police s’en mêla ; en moins de deux heures, Gilbert était au poste.

Dans sa cellule de préventive, il rêve désormais à cette femme de tête qui l’a envoyé là. Il lui écrit des lettres. Il n’a pas son adresse.

C'est la fête

Pour Alex Bernisson, Noël ne marquait pas seulement le retour de l’hiver ; depuis son enfance, Bernisson chérissait le repas de Noël, la trêve qu’il impliquait dans les engueulades familiales, le simulacre de paix qu’il déposait dans les cœurs. Ses parents étaient morts et, faute de famille propre, Bernisson fêtait chaque année Noël tout seul mais avec la manière : chocolats, huîtres, dinde. Il ne lésinait pas.

Cette année était un peu particulière. Licencié économique de la boîte d’électronique dans laquelle il officiait, il devait, pour la toute première fois de sa vie, surveiller ses dépenses. En lieu et place du festin habituel, Bernisson avait tapé dans les sous-marques : mousse de canard, pelure d’oignon. Et voilà qu’attablé seul devant sa télévision, il avait soudain été frappé d’un léger spleen. Un sentiment nouveau ; le spleen se fit mélancolie, la mélancolie tristesse. Pourtant, c’était Noël ! Bernisson ne voulait pas le croire ! Il refusait de gâcher ce moment suspendu, ce moment attendu pendant toute une année… Ce n’était pas possible, ce devait être un rêve. Bernisson se pinça. Ne se réveilla pas. Se repinça encore. Toujours pas de réveil. Alors il s’envoya la bouteille de pelures d’oignon d’une traite et, la tête lourde, il se mit à danser, seul, son chapeau sur la tête, dédaignant le canard, le surimi, et le poulet industriel.

Route 66

Claude attendait ce moment depuis trop longtemps. Bien des fois, il avait pensé le provoquer, échafaudant pour s’amuser des plans machiavéliques lesquels aboutissaient toujours à la disparition de Monique. Cette fois-ci, il n’y avait pas de plan ; cette fois-ci, c’était le destin qui frappait à sa porte et lui faisait un like. Une simple panne de voiture sur la route d’Yvetot, route déserte, champs autour. Une aubaine. Après avoir fait mine de toucher au carburateur, l’esprit en congestion, il s’était éloigné comme pour appeler un réparateur. « On meurt de chaud » se plaignait Monique. « Trouve une solution, vite, Claude ! » Elle braillait, elle braillait. Mais Claude n’appela pas le réparateur. Agité, il revint vers la voiture, à côté de laquelle sa femme continuait sa litanie plaintive. « Claude ! Fais vite ! » Dans le coffre, il saisit une pompe à vélo qui traînait là depuis qu’ils avaient prêté la voiture à Caroline et à ses enfants, et décidé, revint vers Monique. Il fallait en finir. Un bon coup et nous n’en parlerions plus ; un bon coup et elle ne parlerait plus. Alors il s’avança, la sueur perlant sur son front et, arrivé à sa hauteur, elle avait les yeux dans le vague, incrédule, il baissa l’arme, car on entendait le ronronnement d’un tracteur.

Ce ne serait pas pour cette fois-ci.

Jalousie

Quand Alicia avait rejoint Solucom, il y a 1 an, elle avait tout de suite impressionné tout le monde par sa grande sociabilité, son professionnalisme et la diligence avec laquelle elle remplissait ses missions de secrétariat et d’accueil. Très vite, tous les hommes de la société, du DG au simple chef de mission, avaient pris l’habitude de s’arrêter devant sa guérite, le matin, pour tailler le bout de gras, prendre des nouvelles et faire acte de drague. C’était un jeu, auquel l’ingénue Alicia se prêtait sans rechigner, sans donner pour autant d’espoir. Fille parfaite, vraie amie. On lui prévoyait de l’avenir.

Depuis 6 ans qu’elle occupait le poste de secrétaire en chef à Solucom, Bénédicte avait toujours eu à cœur d’effectuer ses missions du mieux qu’elle le pouvait. Discrète, sachant s’effacer, elle avait tous les atouts d’une bonne gestionnaire et savait anticiper les demandes des dirigeants, même les plus exigeants, même Monsieur Vicario que tout le monde craignait. Malgré tout, elle ne se sentait pas valorisée à la hauteur de son talent. Sa rémunération n’excédait pas le SMIC et les autres salariés semblaient tout simplement oublier de la considérer. Pas bonjour, pas au revoir, jamais un sourire, et ce même quand elle empruntait l’ascenseur. La seule qui s’était montrée humaine à son égard était Alicia. Mais cela ne rassérénait pas Bénédicte.

Pour tout dire, Bénédicte avait développé une véritable haine pour Alicia, ses minauderies incessantes, sa manière de croiser et décroiser les jambes pour attirer les hommes, sa vulgarité inhérente. Elle n’avait rien à lui reprocher sur le plan du travail ; mais ses attitudes étaient déplaisantes. Souvent, le soir, Bénédicte rejouait certains dialogues de la journée avec ses chats, des dialogues dans lesquels, sans personne pour le lui reprocher, elle humiliait publiquement sa collègue.

Puis un jour, Alicia fut promue. C’en était trop pour Bénédicte. Décrochant le katana ramené par Monsieur Vicario d’un voyage au Japon, elle frappa Alica au visage de manière à lui retirer son petit sourire satisfait. Une fois le cadavre d’Alicia allongé sur le sol, devant le regard abasourdi de tous les pontes du ComEx, Bénédicte se fit hara-kiri.

La femme de ménage de Solucom se plaignit beaucoup du surplus de travail, ce soir-là.

Le poids des mots, le choc des photos.

Source : Dark Stop Photos