Entre la première et la seconde guerre mondiale, 21 ans se sont écoulés. Autant dire que ceux qui avaient été mobilisés lors de la première avaient peu de chances de rempiler lors de la seconde. Evidemment, dans le lot, il y a eu des exceptions, volontaires ou non. Ceux qui ont participé aux deux guerres ont d’une certaine manière vu leur vie se confondre avec le XX° siècle, devenant des succédanés de toute cette barbarie. Et parmi eux, on trouve des êtres d’exception, des héros de guerre, oui, mais deux fois pas une seule.

Marc Bloch

Agrégé d’histoire, Marc Bloch est prof en lycée à Amiens quand éclate la première guerre mondiale. Mobilisé en 14, il est d’abord sergent avant de terminer la guerre en arborant le grade de capitaine et 4 citations à la Croix de guerre (en plus de la Légion d’honneur). Ensuite, il enseigne. Mais quand la seconde guerre arrive, Marc Bloch, 53 ans, touché par une polyarthrite invalidante, décide de s’engager volontairement pour combattre. Après la débâcle, il assiste à l’effondrement de la Troisième République et en livre le témoignage dans L’Etrange Défaite. Il réussit à naviguer malgré l’Occupation et le climat antisémite (Bloch est juif), obtenant une chaire d’Histoire à la faculté de Montpellier. En 1942, il entre dans la clandestinité en rejoignant la résistance après l’envahissement de la zone libre par les Allemands. Il exerce des fonctions de direction et de coordination des différents mouvements de résistance dans la région de Lyon. Arrêté par les nazis en 1944, il est torturé sous les ordres de Barbie et fusillé le 16 juin 1944 avec 27 autres compagnons de résistance.

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Ernst Jünger

En 1914, Ernst Jünger n’a que 19 ans quand Guillaume II décrète la mobilisation générale. Envoyé sur le front, Jünger gravit les échelons jusqu’au grade de lieutenant. Pendant la guerre, il est blessé 14 fois et reçoit la croix pour le Mérite à 23 ans à peine. En 1920, Jünger publie Orages d’acier, le récit autobiographique de ces 4 affreuses années de guerre dont Gide dira qu’il est le plus beau livre jamais écrit sur la guerre. Mais le Traité de Versailles lui fait horreur ; dans l’entre-deux guerres, Jünger se tourne vers le nationaliste et écrit pour de nombreux journaux qui appellent à la revanche allemande. Son discours est dénoncé comme directement empreint de national-socialisme. Pourtant, il refuse tous les appels du pied des nazis et démissionne même de son club d’anciens combattants lorsque les lois nazis en excluent les membres juifs. Il publie en 1939 Sur les falaises de marbre, une dénonciation allégorique de la barbarie nazie. Il est mobilisé en 1939 en tant que capitaine et intègre l’état-major d’occupation à Paris. Il oeuvre à Paris à rédiger des appels à la réconciliation européenne en appelant de ses voeux à une construction supranationale teintée de valeurs catholiques. Jünger est un compagnon de route de ceux qui vont tenter d’assassiner Hitler en 1944. Renvoyé en Allemagne pour combattre les armées alliées, il demande à ses hommes de ne pas résister. Mort en 1998, il restera toute sa vie une figure intellectuelle controversée en Allemagne.

Crédits photo (Domaine Public) : Ernst Juenger

Le lieutenant-colonel Camille Loichot

Camille Loichot est un exemple de ces résistants catholiques, attachés à la France libre. Instituteur libre, catholique fervent, il est mobilisé en 1914 et termine la guerre avec le grade de capitaine, trois blessures et sept citations. Loichot a été de toutes les plus grandes batailles, de Verdun à la Somme. Il refuse la démobilisation et reste dans l’armée, participant à l’occupation de l’Allemagne et à la campagne de Syrie. En 1940, il se bat dans l’Oise et, après la défaite, s’engage dans l’Organisation de Résistance de l’Armée (une organisation de résistance plutôt classée à droite et fondée en 1943). Il est arrêté et déporté en février 1944 et n’est libéré, malade, qu’en mai 1945. Il meurt à peine quelques semaines plus tard.

Bernard Green

Mobilisé pendant la Grande guerre, Bernard Green participe aux batailles d’Ypres et de la Somme (parmi les batailles les plus célèbres de l’histoire contemporaine), période au cours de laquelle il est blessé deux fois au front – et démobilisé. Revenu à la vie civile avec un grade de Major, il hésite à rejoindre les ordres mais se ravise. Quand la deuxième guerre mondiale arrive, Bernard Green a 53 ans. Il n’hésite pas une seconde et se porte volontaire pour combattre. Devenu aviateur, il est abattu lors de combats au-dessus du Danemark, s’en tire, gagne la Suède neutre et se fait arrêter. Envoyé au Stalag en Pologne, il n’a de cesse de vouloir s’évader. Avec ses compagnons d’infortune, Bernard Green creuse patiemment un tunnel et parvient à s’évader en mars 1943… Avant d’être rattrapé quelques heures plus tard. Epargné miraculeusement, il ne parviendra pas à s’évader à nouveau et sera libéré lors de la défaite allemande. Mais son histoire inspirera grandement le scénario de La Grande évasion.

Louis Aragon

Mobilisé en 1915, Aragon passe la guerre comme brancardier puis adjudant médecin auxiliaire, au contact des chairs brûlées et des corps malades. Après l’armistice, il demeure mobilisé deux années supplémentaires en Rhénanie occupée après avoir reçu la Croix de guerre. L’expérience du front le marque durablement et irrigue son oeuvre. Un temps surréaliste, il rompt avec les Bretonneries pour s’engager aux côtés des communistes, rompant à cette occasion avec Drieu-la-Rochelle, convaincu par le fascisme. Pendant la Seconde guerre mondiale, il se bat sur le front Ouest, subit la débâcle mais reçoit la croix de guerre et la médaille militaire. Il se réfugie en zone libre et écrit avant de rejoindre la résistance, organisant des réseaux dans la clandestinité et oeuvrant à la publication de manifestes de résistance. Aragon ne rompra jamais vraiment avec le communisme avant l’invasion de la Hongrie en 1956 – il a défendu les procès de Moscou et a même rejoint le Comité central du PCF en 1950. Ses désillusions vis-à-vis du régime soviétique irrigueront toute son oeuvre finale.

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Le général Doyen

Blessé trois fois pendant la Première guerre mondiale, Paul-André Doyen devient général de corps de division un peu avant la seconde guerre mondiale. Il dirige la délégation française à la commission d’armistice franco-allemande de Wiesbaden en 1941, mais ne soutient pas Pétain. En 1945, il dirige les troupes alliées sur le front des Alpes et fait la jonction avec l’armée américaine en Italie participant à la libération de l’Europe du joug fasciste et nazi. Devenu gouverneur militaire de Lyon, Doyen sera l’un des principaux témoins à charge lors du procès du maréchal Pétain.

Louis Kerautret-Botmel

Louis Kerautret-Botmel est incorporé en 1914 au 48ème régiment d’infanterie de Guingamp. Il est trois fois blessé et fait prisonnier avant de s’évader après quatre tentatives infructueuses. Il retourne au front. Sa conduite lui vaut deux citations et plusieurs médailles (médaille des Évadés, médaille militaire, Croix des du combattant volontaire) et est fait chevalier de la légion d’honneur. Il reste dans l’armée et prend sa retraite en 1930. Dans l’entre-deux guerres, il milite pour la meilleure prise en considération des anciens combattants et la revalorisation de leurs pensions. Kerautret-Botmel fonde plusieurs organes de presse qui déplaisent au commandement de l’armée et l’obligent à changer régulièrement d’affectation. En 1939, il est mobilisé, participe à la défaite puis rejoint en 1944 le général Billotte, chef d’état-major du général de Gaulle, comme lieutenant de réserve puis capitaine. Avec Billotte, il débarque en Normandie. Il sera fait officier de la légion d’honneur en 1954 pour ses actes de bravoure.

Joseph Kessel

Peut-être le mec le plus classe que la terre ait porté. Né en Argentine, Kessel arrive en France en 1905. En 1916, âgé de 18 ans, il s’engage volontairement dans l’aviation et se démarque par ses faits de bravoure. Au sortir de la guerre, il publie L’Equipage, son premier roman qui raconte ses aventures au front. Puis il devient journaliste-reporter tout en poursuivant son oeuvre littéraire. On l’envoie un peu partout dans le monde pour réaliser des reportages au long cours absolument déments (lire En Syrie ou La Piste fauve pour s’en convaincre). Quand la seconde guerre mondiale éclate, Kessel devient correspondant de guerre, mais il ne tarde pas à rejoindre la résistance et le général de Gaulle à Londres. Il compose les paroles du Chant des partisans et écrit L’Armée des ombres, oeuvre monumentale sur la résistance portée à l’écran par Jean-Pierre Melville. Il est capitaine d’aviation au sortir de la guerre. Ensuite, il reprend ses métiers de reporter et d’écrivain tout en picolant énormément. Il a reçu deux croix de guerre (une pour chaque guerre mondiale), la médaille militaire, a été fait Grand officier de la légion d’honneur et Commandeur des Arts et Lettres.

Crédits photo (Domaine Public) : Hans Pinn

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