Ce sont les héros du moment. Les fidèles grognards envoyés au charbon et qui luttent contre le coronavirus tout en alertant pouvoirs publics et population sur un risque de saturation des services de réanimation. Macron les encense, le gouvernement suit. Pourtant, les personnels hospitaliers ne sont pas à proprement parler choyés par l’Etat. De réforme en réforme, de grand plan de sauvetage en grand plan de sauvetage, ils sont baladés depuis des années par des autorités qui ne parviennent pas à leur donner les moyens d’exercer correctement leur métier.

Les financements vont decrescendo depuis des années

Le système de financement n’a cessé de changer depuis le début de la V° République. Au départ, on évaluait la tarification des soins hospitaliers à la journée ; dans les années 1980 cette tarification a laissé place à une dotation de fonctionnement fermée pour finalement aboutir à une tarification à l’activité au début des années 2000. En gros, ça consiste (vraiment en gros) à évaluer le coût d’un type de soin en prenant un panel de patients sur plusieurs structures hospitalières. Du coup, dès qu’un hosto réduit les coûts, tous les autres sont invités à en faire de même, ce qui crée une concurrence assez malsaine entre les hôpitaux et oublie de prendre en compte la spécificité de chaque structure. Le problème est aussi celui des soignants qui, pour s’assurer que leur structure est maintenue, doivent effectuer un niveau d’activité minimal. Ca n’a aucun sens.

La rationalisation des coûts, vraie erreur

L’idée sous-jacente est que l’hôpital, s’il demeure un service public, ne doit pas perdre d’argent. Les pouvoirs publics ont considéré le travail des soignants comme n’importe quel autre coeur de métier avec cette idée de rentabiliser le coût global via des systèmes d’optimisation et de mutualisation des ressources. En faisant donc du management dans un milieu qui ne s’y prête pas du tout.

Les petits hôpitaux, principales victimes

Or, quels sont les hôpitaux les plus susceptibles de ne pas maintenir un niveau d’activité en adéquation avec les règles fixées par le ministère ? Les hôpitaux ruraux ou dans des petites villes. Cette logique de mutualisation tend à tuer l’hôpital de proximité avec une volonté affirmée, de réforme en réforme, d’aller vers une médecine de ville en campagne et d’énormes hôpitaux très bien équipés dans les grandes agglomérations. Une idée qui peut donner l’impression de fonctionner sur le papier, mais qui se heurte à deux réalités : la première, c’est qu’il n’est pas si évident d’être transporté d’urgence à 150 km de chez soi quand on fait une hémorragie cérébrale ; la seconde, c’est que les hôpitaux amenés à devenir des technocentres de soins ne sont pas du tout à la hauteur pour le moment.

Un problème de management

Pendant longtemps, les directeurs d’hôpitaux étaient eux-mêmes médecins. Aujourd’hui, le concours de directeur d’hôpital, organisé par le centre national de gestion, attire surtout des gestionnaires publics qui vont effectuer un travail de fonction support encadrante sans bénéficier de l’expérience propre à l’exercice d’une fonction soignante au sein d’un hôpital. De là une difficulté immense pour les personnels soignants à se faire comprendre puisque l’objectif principal de la direction n’est plus d’assurer le bon fonctionnement des différents services et ressources mais d’assurer leur bon fonctionnement dans le cadre d’une gestion saine.

Un manque chronique de personnel

Or, parmi les principaux problèmes que rencontrent les personnels soignants, il y a bien sûr le manque chronique de personnel qui oblige les médecins, infirmiers, brancardiers, aides-soignants et tout le toutim à travailler comme des dingues, bien au-delà de ce qu’ils devraient. La raison est double : d’une part, les coupes budgétaires rendent difficile l’embauche de personnel ; de l’autre, de nombreux praticiens, lassés des conditions de travail à l’hôpital, choisissent de rejoindre le privé où ils gagnent davantage sans se faire emmerder.

Les hôpitaux eux-mêmes tombent en ruine

Si la France continue à garantir l’un des plus grand panel d’accès aux soins du monde et si le niveau des soignants et chercheurs médicaux français continue de caracoler haut dans les enquêtes, il n’en va pas de même du matériel hospitalier. Toujours dans cette logique de réduction des coûts, il devient difficile pour les services de se doter des machines les plus récentes et certains petits hôpitaux de province sont particulièrement vétustes. Cela incite également certains hôpitaux publics à passer des accords avec la fédération hospitalière privée pour y réaffecter des patients dont la prise en charge dans le public ne serait pas adéquat. Dans plusieurs articles, les infirmiers et aides-soignants se plaignent de l’insalubrité des locaux – certains décrivent même des trous dans le sol.

Les infirmiers et aide-soignants sont les premiers concernés

Et notamment parce que leurs conditions de travail sont dures, éprouvantes et que leur paie ne suit pas. Si un médecin à l’hôpital sans gagner des millions d’euros finit après quelques années de pratique et selon la spécialité par gagner correctement sa vie, le gel des salaires des personnels hospitaliers et la très lente grille de progression qui stagne par ailleurs pas bien haut est problématique compte tenu de l’investissement de ces agents qui sauvent des vies au quotidien sans compter leurs heures. Entre 2010 et 2016, le point d’indice des infirmiers était gelé. Il a finalement augmenté, mais moins que l’inflation : résultat, les infirmiers foncent vers le privé et, rien qu’à Paris, 400 postes d’infirmiers sont vacants.

Les urgences, un enfer à part

Les personnels urgentistes sont particulièrement touchés par la crise de l’hôpital public. Surpopulation, enchaînement de gardes au mépris de la santé du soignant comme de ses patients, attentes interminables pour passer des examens urgents… Une impression d’impuissance très mal vécue par les principaux intéressés. Le budget 2020 de l’hôpital public prévoyait une enveloppe spéciale pour les urgences, mais les montants restent très insuffisants pour répondre aux besoins.

En 2019, 1100 médecins ont démissionné de l'administration

600 d’entre eux étaient chefs de service. Ils voulaient attirer l’attention de la ministre de la Santé sur la situation dramatique vécue par l’hôpital public, apparemment sans effet; Car Agnès Buzyn, remplacée depuis par Olivier Véran, n’est pas parvenue à obtenir des arbitrages suffisamment favorables dans la répartition budgétaire pour mener des actions à la hauteur de l’enjeu.

Le coronavirus, un révélateur ?

La crise actuelle montre bien comment une pandémie peut à tout moment saturer la réponse hospitalière dans une région. C’est ce qui est en train d’advenir dans le Grand Est où les services de réanimation ne peuvent pas accueillir tous les malades, ce qui va contraindre les soignants à faire des choix affreux entre sauver une personne ou une autre. Même si une crise de pareille ampleur était difficilement prévisible, elle est révélatrice des limites du système. En promettant la mobilisation des hôpitaux militaires et en réquisitionnant des personnels supplémentaires, le chef de l’Etat prend la mesure de la situation d’urgence. Sans pour autant apporter de solutions à long terme.

Tout ça pour dire que c’est bien de féliciter l’héroïsme véritable du personnel hospitalier en cette période de crise sanitaire, mais ça serait encore mieux d’ENFIN écouter leur appel à l’aide quant à leurs conditions de travail chaque année de plus en plus difficiles. Et s’ils ont le temps de nous lire (ce dont on doute très fortement), un grand merci à eux.