Il y a des douleurs spécifiquement féminines, des douleurs que les hommes ne connaîtront jamais, des douleurs effroyables. Et tandis que nous souffrons mille morts, tandis que "la douleur arrachait des larmes aux abîmes, et des cris de rage aux volcans", ils tournent des yeux indifférents vers leur iPad pour consulter leur compte Twitter. Mais ce n'est pas parce qu'ils sont incapables d'empathie... C'est de l'ignorance. Du coup, on se fend d'un gentil article pédagogique à destination de notre lectorat masculin :

  1. L'ongle cassé : généralement exprimé de la façon suivante "Han, je me suis cassé un ongle !", le cassage d'ongle a souvent été utilisé 1/ pour imiter une personne de sexe féminin, 2/ pour décrire un problème qui n'en est pas un. Toutes ces facétieuses parodies sont charmantes, mais on voit bien que ceux qui se moquent ne se sont jamais cassé un ongle. Ok les hommes ont des ongles ; mais ils sont courts. Et des ongles courts, ça ne se casse pas. Ça peut s'effilocher à peine un peu sur le rebord, ça peut plier vaguement s'ils sont mous… Mais imaginez : un ongle long se coince dans une fermeture éclair. Il se fend à raz du doigt. Vous essayez de le retirer, mais la coupure dérape et glisse au niveau de la chair. Les terminaisons nerveuses conduisent une douleur aigue à votre cerveau qui, sous la pression, se met à fondre et c'est ça qui sécrète des larmes.
  2. La courbature : la fille a séché les cours d'EPS pour avoir le temps de relire L'Absolu littéraire: théorie de la littérature du romantisme allemand co-écrit par Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy. Bref, du coup, elle a des lacunes en sport. Et comme elle a aussi séché les cours de biologie, elle se fait une idée assez moyenne de l'emplacement des choses dans son corps. Imaginons qu'elle décide soudain de se mettre à courir. Comme ça, d'un coup, on sait pas pourquoi. Même pas le temps de lui poser la question qu'elle a déjà acheté un legging, une brassière, un bandeau pour les cheveux, un bracelet en éponge pour essuyer la transpiration, un podomètre et qu'elle est en train de faire le tour de l'immeuble.Le lendemain, elle a des courbatures pour la première fois de sa vie. Comme la douleur musculaire lui est encore inconnue, elle croit d'abord qu'elle s'est cassé quelque chose. Puis elle imagine qu'elle est peut-être atteinte d'un cancer fulgurant du mollet. Et puis elle se met à penser qu'un os est en train de pousser et de se ramifier dans tout son corps. En attendant d'affronter son destin, elle relit La métamorphose de Kafka. Et vous la trouvez, pleurant sur le canapé… Alors vous avez le choix : soit vous la serrez dans vos bras en lui expliquant qu'un muscle et un os, ce n'est pas la même chose, soit vous vous moquez d'elle. Mais dans ce cas, faudra pas vous plaindre qu'elle ne daigne pas vous éclairer si un jour vous lui demandez pourquoi le romantisme représente le moment inaugural de la littérature comme production de sa propre théorie. Tant pis pour vous. Vous saurez jamais.
  3. L'indigestion : généralement exprimée de la façon suivante : "Je crois que j'ai trop mangé. T'as pas trop mangé toi ? J'aurais pas dû me resservir. Pourquoi tu m'as laissée me resservir ? C'était même pas bon.".Pour quelqu'un qui commande des doubles Macquelquechose et qui boit du Coca pas light (NB : arrêtez de dire "Coca normal", c'est le Coca light qui est normal, pas celui qui contient l'équivalent en sucres du poids d'un vélib), on comprend que l'indigestion féminine soit un mystère. Mais sachez que les femmes ont été éduquées par les magazines de mode dans le culte de Kate Moss. Elles se nourrissent en conséquence de feuilles de basilic non assaisonnées et de quelques poignées de quinoa par semaine. Parfois, il arrive qu'elles craquent. Elles veulent de la viande rouge. Elles commandent un steak-frites. Elles pensent ne pas manger les frites, c'est juste pour faire joli dans l'assiette. Elles en grignotent une, une seule, juste une. Et c'est en découvrant, terrifiées, l'assiette vide, qu'elles commencent à avoir des crampes d'estomac 1/ parce que leur corps ne supporte plus ni les lipides, ni les glucides, ni les protéines 2/ parce qu'elles culpabilisent et que donc elles somatisent. Pour elles, le steak-frites est l'équivalent mental d'une bouteille d'huile d'arachide avalée cul-sec.
  4. Le mal de pieds : généralement exprimé de la façon suivante : "J'ai mal aux pieds… J'ai. Mal. Aux. Pieds. J'ai. Mal. Aux. … Faut que tu me portes… Bon ben tant pis, je m'en fous. J'ai besoin de personne. Je sifflote ma douleur à la face du monde indifférent : j'ai mal… lalala… malalala... HA ! HA ! Arrête-toi. Je peux plus marcher. Viens on s'assoit.... Je vais essayer d'enlever ma chaussure sans que la peau parte avec".On comprend que la répétition pluri-hebdomadaire de cette complainte pédestre ait fini par émousser votre sens de la compassion. Mais vous n'êtes pas sans savoir que l'être humain vit verticalement, contrairement aux animaux qui vivent à quatre pattes, et qu'en station debout, ce sont les pieds qui supportent tout le poids du corps. Maintenant, imaginez que ce ne soit plus le pied en entier qui supporte votre poids, mais la plante de pied seulement… Et là, lecteurs, ça y est : vous portez des talons ! Ensuite imaginez que le monde vacille à chaque pas, comme si vous marchiez sur une corde tendue au dessus d'un précipice. C'est des talons de 12. Maintenant imaginez que le bâtard qui a conçu vos escarpins pense que votre pied ne possède que 4 orteils, alors que vous en avez 5 comme tout le monde, mais que du coup votre chaussure se rétrécit brutalement au bout, et que votre petit doigt de pied n'a pas la place de se poser à côté des autres et qu'il est obligé de grimper sur son voisin, qui suffoque, et qu'un combat à mort se livre entre vos deux orteils pendant que vous marchez.
  5. Le mal de ventre : généralement exprimé de la façon suivante : "J'ai mal au ventre". Comprendre "J'ai mes règles".Et là, contre toute attente : la fille ne se plaint pas. C'est vous qui vous plaignez."Mais qu'est-ce que je t'ai fait ? Pourquoi tu m'en veux ? Mais arrêtheuuu. Mais rends-moi mon iPad… T'es vilaine. Non, non, je retire, aïe, je retire j'ai dit, quand on retire, on n'a pas le droit de… aïe aïe, ok, c'est bon, c'est bon, garde l'iPad, vas-y, vas-y, je le veux plus… Juste, ne le mange pas, s'il te plaît... Ne le piétine pas non plus… Mon bébé, mon amour, ma choute, ma princesse, mon cœur… Je sais que tu as mal… Oh c'est douloureux, les règles, oh ça fait mal, je comprends. Je peux faire quelque chose pour toi mon ange ?"

Et vous les filles, vous en voyez d'autres ?