Et tandis que je tourne les pages du livre de ta vie, voilà que je tombe sur le chapitre consacré au cinéma et à ta propension à dire « J’adooooooooore ce film, c’est mon film prééééééféééééééréééééééé » et tout à coup tout fait sens, je comprends mieux, j’ai chaussé mes verres à rayons X, me voilà fin prêt pour le décodage et ce n’est pas même pour regarder un film X dans les années 1980.

Pulp Fiction

Toi, tu ne jures que par Tarantino (et aussi un peu Soderbergh et Winding Refn, mais moins parce qu’ils sont quand même un peu moins connus). Dès que tu en as l’occasion, tu emploies le mot pop culture et tu manges des tartes aux fraises. Le sopalin ? Très peu pour toi ; tu es quelqu’un d’entier même si tu portes une chemise à carreaux au-dessus de ton t-shirt. Si ça ne tenait qu’à toi, on réinstallerait des vidéoclubs et les garçons auraient le droit de s’habiller en jupe. Mais ça ne tient pas qu’à toi et en plus ton avis compte peu vu que tu ne votes pas.

Fight Club

Un jour, tu as écouté Nirvana, et ce jour-là tu as compris qu’on n’avait ni dieu, ni maître, sauf maître Kanter. Depuis, tu as fait ton petit bonhomme de chemin et il n’est pas né celui qui te forcera à te laver les cheveux. A force de ne pas savoir jouer de la guitare, tu as fini par perdre le peu d’aura dont tu disposais auprès de ton ami bassiste. En tout état de cause, tu trouves que le travail c’est de la merde et de l’oppression, mais si j’avais 100 balles à dépanner, t’es pas contre et en plus, là, t’es sur un gros coup.

Le père Noël est une ordure

On t’imagine mal vivre sans ta bande de potes, toi, hein, pas vrai ? Toujours à te tenir les côtes, toujours à t’esclaffer, à donner des coups de coude quand tu ne le lèves pas. T’es du genre à dire qu’on ne peut plus rien dire et à t’exprimer par citations de film, pas vrai ? C’est une bonne situation, ça, répétiteur de citations de film ? En tous les cas, tu as bon appétit parce que c’est fin, que ça se mange sans faim et que le gras c’est la vie. Avec un petit coup de polish.

Moonrise Kingdom

Dans l’univers horizontal de tes verticalités symétriques, tu choisis la couleur rose. Ton truc à toi, c’est l’équilibre et la candeur. Tu n’as jamais senti les bonbons qui picotent, les têtes brûlées très peu pour toi. Tu crois dur comme fer que l’originalité, c’est un état d’esprit, et c’est pour ça, d’ailleurs, que tu t’es laissé pousser la moustache et que tu portes des boots à lacets blanches et un short. Parfois dans la nuit tu écris – un héritage du surréalisme sur lequel tu as vu une expo, une fois, il y a longtemps. Jamais un rond en fin de mois, tu es passé maître dans l’art de taper l’incrust’ et de te faire inviter. Mais ta singularité aura raison de toi : tu n’as déjà plus beaucoup d’amis (les imaginaires ne comptent pas).

The Dark Knight

Hey oh hein bon, on n’est pas venu ici pour souffrir, non, oui, ok ? Hey c’est pas parce que quelque chose est grand spectacle et divertissant que c’est forcément bête, ok, non, bon ? T’en as marre de cette grande mode de l’époque qui consiste à mettre des gens dans des cases. Pour toi, personnalité, c’est pas synonyme d’ennui, merde. Et d’ailleurs, on peut très bien être de gauche sur les moeurs et de droite économique, pas vrai ? Tu es macroniste, en fait, non ?

Le Parrain

Le livre le plus récent que tu aies lu, c’est un Modiano (et encore, après qu’il a gagné le Prix Nobel). A quoi bon sortir du classicisme ? Si on te dit qu’un truc est bien, alors c’est bien. Tu as une connaissance parcellaire de beaucoup de choses qui t’a permis d’obtenir de très bonnes notes tout au long de ta scolarité sans jamais rendre un devoir brillant. De l’anecdote, tu en as à revendre : tu savais que le tournage d’Apocalypse now s’était mal passé ? Tu savais que la tomate est un fruit ? Tu savais que… Le seul hic, c’est que tout le monde sait déjà ce que tu crois apprendre aux gens.

Le Roi lion

Âme d’enfant et corps d’adulte, tu noies dans du chocolat à la viande et au gluten le traumatisme que la vie soit à sens unique. Il n’y aura pas de retour en arrière. Finies les histoires au lit, finis les gendarmes et les voleurs dans la cour de récré, les départ en vacances à 5 heures du matin sur la banquette arrière, finis les éclats de rire parce que tu as dit un truc drôle sans faire exprès, fini tout ça. Non, désormais, il n’y a plus qu’à espérer une augmentation du taux directeur du livret A et de ne pas avoir d’accident sur l’A86. Alors dès que t’as l’occas’, pour oublier tout ça et te convaincre dans le même temps que l’enfance, c’était pas si bien, tu pleures devant la mort de Mufasa et te mordant les lèvres jusqu’au sang.

Love Actually

Ton deuxième film préféré, c’est Titanic, même si tu trouves que ça manque d’humour. Tu emploies des termes assez éclectiques, comme « pétillant » ou « pepsy » ou encore « chouette » au quotidien. Une manière comme une autre de montrer que tu te bats pour exister dans un monde qui n’était pas prêt à t’accueillir. Célibattant et attachiant : ta bio Tinder fait les choux gras de la presse à scandale. Un jour, tu trouveras quelqu’un de bien, mais ce sera peut-être une personne imaginaire.

Alien

T’as compris très vite que la vie n’allait pas être une partie de plaisir et tu as décidé d’élever ta morgue en art de vivre. Attention les yeux : toi, ce que tu aimes, c’est les monstres. Et que ça lit Bilal, et que ça lit Trostki – même si Trostki tue le ski. T’as ce côté touche-à-tout magistral du moment que c’est déviant et de gauche. Du moins, c’est comme ça que tu te vis, toi. Les autres tendent plutôt à dire de toi que t’es chiant.

Oncle Boonmee

N’ayant jamais été au cinéma de ta vie, tu t’es dit que le mieux pour donner le change était de te choisir un film préféré que personne d’autre n’a vu afin d’éviter les questions. Palme d’or de l’indifférence, Oncle Boonmee est devenu un meme à part entière dans l’espace mental des contempteurs du snobisme : tu vois, moi aussi je peux faire des phrases compliquées.

On voit en toi comme de l’eau de roche (je sais que l’expression c’est pas ça).